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si même on les laboure, quand elles ne sont pas convenablement égouttées, on les transforme en grosses mottes, irréductibles par les herses ou les rouleaux qui s’aèrent mal. Or il est bien plus facile de trouver le moment opportun pour labourer quand la terre est découverte que lorsque le travail se place pendant la période restreinte qui sépare une récolte de la suivante. Nos pères avaient peu d’engrais, il fallait tirer du sol tous les alimens des végétaux, et la nécessité de très bien exécuter les travaux militait déjà en faveur de la jachère nue ; mais ce n’est pas là cependant la cause qui justifie complètement leur manière d’agir. Pour que les métamorphoses qui amènent l’azote du sol à être utilisable puissent se produire, il faut que la terre soit humide ; or, on n’est sûr de lui conserver l’humidité nécessaire que si on la maintient nue, privée de végétaux.

J’ai déjà parlé ici même des cases de végétation de Grignon ; ce sont de grandes caisses carrées en ciment ; elles ont deux mètres de côté et un mètre de profondeur ; elles renferment quatre mètres cubes de bonne terre qui repose sur un lit de cailloux, au travers duquel les eaux qui ont traversé le sol s’écoulent jusqu’à une rigole centrale, qui les conduit dans de grands vases où elles sont recueillies ; à intervalles réguliers on les mesure, puis on les soumet à l’analyse.

La plupart de ces cases portent, chaque année, des plantes variées ; on y cultive des betteraves, des pommes de terre, du blé, du trèfle, de la vigne, mais quelques-unes sont depuis quatre ans en jachère ; or, tandis que pendant l’année agricole : mars 1894-mars 1895, les terres emblavées n’ont laissé couler que de très faibles quantités d’eau de drainage, les terres en jachère ont été traversées par des quantités d’eau notables, renfermant en moyenne, si on calcule pour l’écoulement d’un hectare pendant toute l’année : 76 kil, 4 d’azote nitrique. Pendant l’année : mars 1895-mars 1896, les mêmes faits se sont reproduits ; les terres emblavées n’ont rien laissé couler, tandis que les terres en jachère ont fourni 91 millimètres d’eau de drainage renfermant, en moyenne, pour un hectare 110 kilos d’azote nitrique.

Actuellement les cultivateurs habiles fortifient leur blé avec 100 ou 200 kilos de nitrate de soude distribués au printemps ; ces doses renferment de 15 à 30 kilogrammes d’azote nitrique ; c’est-à-dire infiniment moins que n’en produit, pendant les années de jachère, la terre de Grignon. La production des nitrates y surpasse, et de beaucoup, celle des terres emblavées constamment asséchées par les plantes, qui sont des appareils d’évaporation formidables.