La culture du blé produit donc annuellement en France une valeur qui dépasse 2 milliards, et on conçoit quelles inquiétudes ressentirent les membres du gouvernement et ceux du Parlement quand, il y a dix ans, les cultivateurs de blé déclarèrent qu’il fallait renoncer à le produire ; qu’au prix où il était tombé, la culture devenait onéreuse et qu’on était contraint de l’abandonner. Tandis que de 1875 à 1882, le prix de l’hectolitre de blé avait dépassé 20 francs, il avait fléchi à 19 fr. 16 en 1883, puis à 17 fr. 76 en 1884 ; c’est ce prix qu’on déclara ruineux, affirmant que la somme dépensée pour produire un hectolitre de blé, désignée sous le nom du prix de revient, s’élevait à 20 francs et, par suite, dépassait de beaucoup le prix de vente.
Sans hésiter, on attribua la baisse aux importations de blé étranger, et malgré la répugnance bien légitime qu’éprouvaient des assemblées démocratiques à élever artificiellement le prix du grain qui forme la base de l’alimentation nationale, la poussée des idées protectionnistes fut trop forte pour qu’on y résistât ; les droits imposés au quintal de blé étranger furent d’abord de 3 francs, on les éleva ensuite à 5 francs, puis à 7 francs.
Or, si de 1887 à 1888 l’hectolitre de blé se vendit en moyenne en France au-dessus de 18 francs, si même il s’éleva à 19 francs en 1890. et dépassa 20 francs pendant la mauvaise année 1891, depuis cette époque et malgré des droits protecteurs extraordinairement élevés, les prix sont tombés à 17 fr. 87 en 1892, à 16 fr. 55 en 1893, à 15 fr. 21 en 1894 et à 14 francs en 1895.
Visiblement les droits de douane sont impuissans à maintenir les prix aussi hauts qu’on l’avait espéré. Il est bien à remarquer au reste que cette baisse persistante n’a pas produit les effets funestes qu’on avait prédits, on n’a nullement renoncé à la culture du blé ; elle couvrait 6 956 765 hectares en 1885, elle a dépassé 7 millions d’hectares en 1889, 1890 et 1893 et en a occupé encore 6 997 449 en 1894, et comme on ne peut pas supposer que les cultivateurs s’obstinent à produire à perte, il faut bien admettre que le chiffre, sur lequel on s’appuyait pour forcer les hésitations du Parlement, était erroné et que le prix de revient de l’hectolitre de blé n’est pas de 20 francs.
Quel est-il donc ? Il importe de bien préciser cette notion, car si elle est clairement établie, la marche à suivre pour surmonter les difficultés dans lesquelles nous nous débattons aujourd’hui sera nettement indiquée.