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ne suis pas sans me réjouir de quelques-uns des résultats de son indélicatesse ? Félix culpa, puisque, dans quelque intention qu’il ait agi, M. Purcell, comme jadis Froude avec ce Carlyle réaliste et impressionniste qui choqua si fort les amis du sage de Chelsea, nous a donné, à l’état fragmentaire, dans un désordre absolu, une incomparable série de révélations, de documens de première main, un Manning peint par lui-même, les aveux involontaires, les touches et les retouches, les confessions authentiques d’une âme du premier rang. On annonce de plus que, par manière de réfutation, les exécuteurs testamentaires et les plus proches amis du cardinal publieront sous peu une version officielle de sa vie. Ces polémiques posthumes, pour douloureuses qu’elles soient, font souvent jaillir la lumière, même après la riche, l’insolente, l’indiscrète récolte, aux gerbes mal liées, de M. Purcell, il reste bien encore quelques épis à glaner. En attendant, nous possédons déjà, en dehors de quelques articles de revue importans publiés après la mort de Manning, dans le petit livre modeste de M. Hutton, un ouvrage où M. Purcell aurait pu apprendre que, pour éviter le panégyrique continu des vies de saints et les enluminures écœurantes du genre hagiographique, il n’est pas besoin de verser dans la satire ou dans le dénigrement.


I

Ce fut en 1832 qu’Henry Edward Manning, alors âgé de vingt-quatre ans, se fit ordonner et entra dans le clergé anglican. Sa vocation première ne l’y appelait pas. Né en 1807, le dernier enfant du second mariage d’un riche banquier de la Cité de Londres, M. William Manning, qui siégeait au parlement parmi les tories, Henry Edward avait bien été destiné par ses parens à la cléricature. La famille était décemment religieuse ; mais ce projet avait été inspiré aux parens de Manning beaucoup moins par des vues de piété que par le désir et l’espérance de procurer à leur Benjamin un établissement confortable et sûr. L’enfant lui-même ne manifestait aucun goût pour cette profession. Dans les écoles préparatoires qu’il fréquenta, à Harrow où il entra à quinze ans, il ne fut point un élève studieux. Il se distingua davantage au cricket que dans les exercices scolaires. Toutefois ces quatre ans dans une des grandes écoles publiques qui, avec Eton, Rugby, Winchester, reçoivent l’élite de la jeunesse anglaise, ne lui furent point inutiles. Wellington aimait à dire que c’était sur le terrain des jeux scolaires d’Eton qu’avait été remportée la victoire de Waterloo. En tout cas, il sort de ces établissemens, et il ne sort que de là, ce produit spécial : le gentleman anglais.