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Guillaume de Dôle, tous les « citoiens » du bourg, tous les seigneurs du château célèbrent à l’envi les rites du printemps ; de même, les courtois personnages de Flamenca se plaisent aux kalendas mayas des jeunes vilaines. On s’habitua donc, dans les cours chevaleresques, comme à des hôtes familiers, à ces petits personnages de ballets : Emmelot, Marion, Aëlis ; l’on se plut à imaginer sur leur modèle toute une paysannerie fantasque, artificielle à souhait, et c’est ainsi que germèrent ces genres courtois : reverdies, chansons à personnages, pastourelles.

Vers quelle date ? Antérieurement à 1140, car c’est alors qu’apparaissent les plus anciennes des pièces conservées, celles de Marcabrun. En quel lieu précisément ? car il faut bien admettre que cette convention littéraire a pris naissance tel jour, en tel pays, pour rayonner ensuite sur d’autres provinces où les fêtes et danses de mai, pareillement célébrées, ont donné à d’autres poètes matière à diversifier les thèmes initiaux. Ce centre premier de rayonnement, M. G. Paris le place, par une conjecture vraisemblable, « dans la région qui comprend à peu près le Poitou et le Limousin. »

Donc, vers le milieu du XIIe siècle, en quelque cour seigneuriale, un trouvère à jamais inconnaissable, — mais qui fut vraiment un poète, — conçut cette idée singulière et jolie d’exploiter les chansons de mai et d’animer d’une vie plus complexe les personnages fugitifs des rondeaux de carole.

Ces chansons lui fournissaient tout en germe : motifs des intrigues, cadre, héros et héroïnes. Telles de ces chansons célébraient les rites de mai :


Tendez tuit la main a la flor d’esté.
A la flor de lis,
Por Dieu, tendez i !


elles inspireront les reverdies courtoises. — D’autres, profitant d’une fiction rituelle, disaient l’amour libre, émancipé des jaloux :


Donnez, jalos, je vos en pri,
Dormez, jalos, et je m’envoiserai,


elles fourniront le thème initial des chansons à personnages où des mal mariées impertinentes bravent leurs maris. — D’autres enfin faisaient apparaître un instant, puis disparaître après quelques tours de bras cadencés des personnages à peine entrevus : Robin, Mariette, Emmelot, Mauberjon ; on décrira leurs minuscules passions et aventures, et ce seront les pastourelles.