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lu son second volume, où il compare aux religions antiques les usages actuellement attestés sur toute terre aryenne, on reste persuadé et comme troublé de l’identité de ces cultes à travers le temps et l’espace. Les dames vertes de France, les fées germaniques, les dryades grecques sont pareilles, et à nos fêtes de mai répondent les Thargélies de l’Attique. Là aussi, aux Oschophories, comme dans nos villages de Lorraine ou de Bresse, des dendrophores, chargés de branches nouvelles, promenaient, — telle chez nous la reine de Printemps, — un éphèbe costumé en fille, et suspendaient le mai aux portes des maisons et des temples. Et l’on voit, grâce à ce livre, se dérouler dans la plénitude de ses symboles et dans l’harmonie de ses rites, telle qu’aux âges préhistoriques, toute une religion de la nature, dont les usages populaires actuels conservent les derniers débris.

Le moyen âge paraît avoir célébré ces fêtes, par toute l’Europe, avec une singulière ferveur, et c’est dans la gaîté d’un jour de calendimaggio que Dante vit pour la première fois Béatrice. La plupart de nos coutumes actuelles de mai sont relatées par des textes anciens, et celles-là mêmes que d’abord on supposerait plus récentes. Si, par exemple, on trouve que les galans, il y a cinq ou six siècles, offraient déjà des mais symboliques aux filles, qu’ils savaient les « esmaier », les « enmaioler » ; si l’on rencontre chez le vieux Froissart ces vers de madrigal précieux :


Pour ce vous veulx, ma dame, enmaioler
En lieu de may d’un loyal cœur que j’ay,


on n’est pas surpris : ces mais, le cep de vigne qui germe de la tombe de Tristan pour s’enfoncer dans celle d’Iseut, l’arbre de vie planté à la naissance des enfans, tous ces symboles sont frères qui incarnent dans une plante une âme humaine, et l’on sent bien qu’ils procèdent de conceptions très vieilles. Mais on serait tenté de prendre pour une innovation toute moderne, à cause de son caractère parodique, tel autre de ces usages, celui par exemple d’offrir à certaines filles des mais dérisoires. Il est ancien pourtant, car Du Gange enregistre, à la date de 1367, parmi d’autres textes analogues, la plainte d’une certaine Johannette contre un certain Caronchel « qui l’avoit esmaiée et mis sur sa maison une branche de seur » (sureau) ; mais Johannette proteste « qu’elle n’est mie femme a qui on dëust faire tels esmayemens ne tels dérisions, et qu’elle n’est mie puante ainsi que ledit seur le signifioit. » Quant à la coutume, plus anciennement attestée encore, d’aller quérir le mai, il faut qu’elle ait été très largement pratiquée, jusqu’à donner lieu à de vrais massacres de jeunes