Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorte qu’elles n’offensent plus le rationalisme des fortes têtes du village. Mais les folkloristes recueillent ces fragmens épars de symboles brisés et ternis ; ils les rapprochent, les combinent et parviennent à restituer sens et dignité à ce qui n’est plus qu’amusette enfantine, à ce qui fut jadis culte et foi.

Donc, la nuit qui précède le premier mai, des jeunes gens et des jeunes filles, celles-ci vêtues de blanc, se forment en troupe et se rendent au bois voisin : c’est pour quérir le mai. Dans le sous-bois où les premières frondaisons laissent encore passer la clarté des astres, ils coupent des pousses nouvelles, des branches gonflées de jeune sève ; ils déracinent des arbrisseaux, bouleaux ou sapins. Puis, chargés de leur fraîche moisson, ils s’acheminent vers la ferme prochaine ; ils se groupent dans la cour, et leur chant éclate, éveille la maisonnée ; les volets s’ouvrent, et tandis qu’aux mains des chanteurs s’agitent les branches fleuries, le couplet s’envole, avenant et parfois ironique, qui dit l’arrivée du printemps et réclame de menus présens pour la fête :


La maîtress’ de céans, vous qui avez des filles,
Faites les se lever, promptement qu’elles s’habillent ;
Vers ell’s nous venons, à ce matin frais,
Chanter la venue du mois de mai…
Si n’voulez rien donner, donnez nous la servante !
Le porteur de panier est tout prêt à la prendre :
Il n’en a point, il en voudrait pourtant
A l’arrivée du doux printemps…


On leur donne, ils s’éloignent. Ils vont ainsi par les fermes et les hameaux. A chacun leur approche annonce des récoltes prospères et parfois les bénédictions de la Vierge Marie ; car l’on quête aussi pour orner son autel, et le christianisme, habile à parer sa liturgie de vieux rites réprouvés, dédiant à Marie le mois de mai, lui a consacré la plus innocente des fêtes païennes. Alors, l’on chante ainsi :


Nous avons passé par les champs :
Avons trouvé les blés si grands ;
Les avoines sont en levant,
Les aubépin’s en fleurissant.
Dame de céans,
C’est le mai, mois de mai,
C’est le joli mois de mai.
Si vous nous fait’s quelque présent,
Vous en recevrez doublement :
Vous en aurez pendant le temps,