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dans ce livre l’hypothèse que certains de nos genres lyriques se rattachaient aux fêtes de mai. Or, voici que M. Gaston Paris a fait à ces idées l’honneur mérité de les critiquer en une admirable série d’articles du Journal des Savans. Il les a nouées fortement en un système, et c’est précisément l’hypothèse relative aux fêtes du printemps, jusqu’alors indécise et comme voilée, qui en forme le nœud vital. On voit M. G. Paris, par une série d’analyses similaires, décomposer chacun de ces genres : reverdies, chansons à personnages, pastourelles, débats, chants d’éveil, en ses élémens ; remonter pour chacun d’eux de ses formes les plus complexes jusqu’au thème embryonnaire, et rattacher ce thème aux fêtes des calendes de mai ; puis relier à ces mêmes fêtes la poésie courtoise elle-même, la chanson d’amour, le « grand chant » de Bernard de Ventadour, de Thibaut de Champagne et de Dante. Et finalement la théorie s’exprime et se résume en cette phrase : « Ainsi la poésie lyrique que nous voyons s’épanouir au XIIe siècle dans le Midi et dont on a tant recherché l’origine, semble être essentiellement sortie des chansons de danse qui accompagnaient les fêtes de mai. »

Pour exposer à notre tour ces idées le plus nettement possible, il convient, croyons-nous, d’abandonner la marche régressive et inductive qui s’imposait aux constructeurs du système. Au lieu de remonter des genres les plus tardifs et les plus complexes aux primitifs, nous partirons des fêtes de mai et des formes lyriques très simples qui en sont issues. Cette seule interversion des procédés d’exposition, ce seul effort pour nous représenter les faits dans l’ordre de leur succession chronologique nous induira çà et là à les interpréter différemment.


I

Qu’est-ce donc que ces fêtes de mai, ces maieroles, comme on les appelait jadis ? Elles n’ont pas disparu tout à fait, et chez tous ceux qui ont vécu la vie paysanne — soit réellement, soit par sympathie d’imagination folkloriste, — leur nom réveillera quelque souvenir, vieux refrain, usage local. Car, sur toute terre romane, germanique, celtique ou slave, grâce à la mystérieuse force de résistance propre aux traditions populaires, elles végètent encore, de cette vie souffreteuse et tenace des êtres qui ne se résignent pas à mourir. Partout incomplètes, incomprises, elles se réduisent ici à un rite obscur, là à une chanson mutilée ; en certains lieux, elles ont laissé des traces plus sensibles : c’est que le soin de les perpétuer y a été abandonné aux enfans, en