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aux pieds de Newman, longtemps le plus fervent des disciples et le plus docile des novices, emporté par la Némésis de la Foi loin de ce port abrité, sur la mer orageuse, jeté finalement par le reflux dans les bras de Carlyle, guéri par cet apôtre du stoïcisme agnostique, mais assez mal guéri pour avoir fait de l’œuvre de sa vie, — son histoire d’Angleterre au XVIe siècle, — une gigantesque diatribe contre le catholicisme. C’est enfin Mark Pattison, mort recteur du collège de Lincoln, à Oxford, âme aigrie ou plutôt flétrie, moins encore par les mécomptes ou les retards de son ambition universitaire que par sa grande mésaventure spirituelle, — cette voiture publique manquée pour aller abjurer le protestantisme avec son maître, et, du coup, le coche manqué pour toute sa vie, la chute dans le doute systématique, dans l’érudition malicieuse à la Bayle, dans la critique hautaine et l’ironie superfine à la Renan, — avec, pour œuvre principale de cette longue existence de studieux loisirs, ces Mémoires où il a tracé le plus sombre, le plus mélancolique, le plus poignant tableau d’une intelligence desséchée, d’un cœur aride, volontairement racorni et pourtant à jamais inconsolable de l’idéal jadis entrevu, à demi possédé, perdu pour toujours.

C’est à cette riche galerie que M. Purcell vient d’apporter à titre de contribution les deux massifs volumes de sa biographie de Manning. Cet ouvrage était impatiemment attendu. On savait que le cardinal avait ouvert dans les dernières années de sa vie les trésors de son intimité et de ses archives à cet écrivain. Dans une certaine mesure, on parlait d’une biographie autorisée, et les exécuteurs testamentaires de Manning n’avaient pas cru pouvoir, après sa mort, se montrer plus avares ou plus timides que lui : ils laissèrent M. Purcell butiner à son gré dans les papiers les plus secrets du défunt. Eh bien ! ce livre, rédigé sous d’aussi favorables auspices, n’est pas seulement un mauvais livre, c’est une mauvaise action. Le successeur de Manning, le cardinal Vaughan, les exécuteurs testamentaires ont protesté avec indignât ion contre cette publication. Bien que M. Purcell essaye de se défendre et qu’il trouve des avocats parmi ces petits esprits dont la plus grande joie est de voir rabaisser toutes les grandeurs, il a contre lui tout lecteur impartial. Il faut l’avoir lu pour savoir jusqu’où peuvent aller l’absence de composition, le décousu, le désordre en quelque sorte systématique. Son livre est rempli de fragmens de lettres et de journaux, dépecés, émiettés, semés au hasard, transposés sans le moindre souci de la chronologie et de l’association des idées. Il ressemble tantôt à un manuscrit dont les pages, éparpillées par le vent, auraient été cousues par une servante illettrée, tantôt à un panier à papiers renversé sur une table. Que