mais à l’approche de la mort. « Elle offrait sa vie et colle de l’élu à la nuit fatale ; elle entrait avec lui dans l’ombre, pour toujours. » Critique littéraire, dira-t-on peut-être, ou de littérateur et de poète, à laquelle échappe la musique. Attendez : voici qui va droit à la musique, au fond même de la musique et jusqu’au foyer du mal. Il s’agit du duo du second acte : « Dans l’impétuosité des progressions chromatiques il y avait la folle poursuite d’un bien qui se dérobait à toute prise, quoiqu’il resplendît très proche. Dans les change mens de ton, de rythme et de mesure, dans la succession des syncopes il y avait une recherche sans trêve, il y avait une convoitise sans limites, il y avait le long supplice du désir toujours déçu et jamais éteint… L’effrayante vertu du philtre opérait sur l’âme et sur la chair des deux amans déjà consacrés à la mort. Rien ne pouvait éteindre ou adoucir cette ardeur fatale, rien hormis la mort. Ils avaient tenté vainement toutes les caresses ; ils avaient recueilli vainement toutes leurs forces pour s’unir dans un embrassement suprême… Leur substance corporelle, leur personnalité vivante, tel était l’obstacle. Et une haine secrète naissait chez l’un et chez l’autre, un besoin de se détruire, de s’anéantir, un besoin de faire mourir et un besoin de mourir. »
La mort ! Toujours et partout la mort ! Dans l’opéra comme dans le roman c’est bien elle, elle seule qui triomphe. Toute activité, toute personnalité détruite, tout effort stérile, toute lutte vaine et toute victoire impossible ; tout être enfin englouti, abîmé dans le néant, voilà l’idéal du poète et du musicien de Tristan, et si jamais peut-être Wagner n’a rien produit de plus puissant, peut-être ne produisit-il jamais rien de plus contraire à la destination ou à la mission populaire et sociologique de l’art. « Je souhaite, écrivait Gounod au pape Léon XIII en lui dédiant son oratorio de Mors et Vita, je souhaite que mon humble travail soit de quelque utilité pour l’accroissement de la vie en mes frères et en moi-même, ad incrementum vitæ in fratribusmeis et in meipso. » A la bonne heure. Voilà de sages et presque saintes paroles. Elles enseignent qu’il n’y a d’œuvres socialement salutaires et belles que les œuvres vivifiantes, celles par qui s’accroît la vie et non la mort.
Aussi bien, pour être et surtout pour demeurer le guide, le maître par excellence de la foule, Wagner peut-être l’a trop flattée et trop servie. Son génie a trop accordé à la multitude. En sa polyphonie colossale, il a de plus en plus sacrifié l’individu au nombre, dont il a, sans contrôle ni contrepoids, établi la souveraineté. C’était nous pousser — et de quelle