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longtemps tous les ressorts de la constitution, il a créé un conflit artificiel, mais qui devient chaque jour plus dangereux entre la Chambre et le Sénat. Il a compromis la situation de M. le Président de la République. Le maintien au pouvoir de M. Bourgeois et de ses collègues ne vaut certainement pas ce qu’il nous coûte. Et nous ne parlons pas des intérêts vitaux du pays, qu’il a insuffisamment garantis au dehors.


Croit-on qu’à l’étranger ce ministère ait l’autorité qu’il jugeait lui-même ne pas pouvoir survivre à un vote du Sénat contre sa politique extérieure ? Il a parlé plusieurs fois de négociations en cours : on ne voit pas très bien quelles négociations il pourrait poursuivre actuellement, mais à supposer que le moment vienne, que l’occasion se présente où il y aurait lieu d’en entamer, qui donc voudrait s’engager complètement avec lui ? Ne sait-on pas que sa vie tient à un fil, et que ce fil sera bientôt rompu ? On attendra, mais, en attendant, qui sait si nous ne perdrons pas une fois de plus des occasions propices ? Si nous espérons le contraire, c’est parce qu’il ne faudra pas en somme attendre bien longtemps, et que l’heure ne paraît pas encore avoir sonné où nous pourrons échanger utilement des vues avec d’autres puissances à propos de l’Egypte. Les journaux officieux eux-mêmes défendent le cabinet en disant que, du moins jusqu’à ce jour, il n’y a eu rien à faire. Le monde politique anglais était dispersé. Lord Salisbury était à Beaulieu ; lord Dufferin était à Cannes. Pour compléter ces alibis, M. de Courcel, notre ambassadeur à Londres, était à Paris. Il est vrai que, depuis lors, la situation s’est modifiée ; lord Dufferin est rentré à Paris et il a eu une première entrevue avec M. Bourgeois. Nous ignorons naturellement ce qu’ils ont pu se dire ; mais à supposer que l’ambassadeur de la reine ait montré une confiance absolue à notre nouveau ministre des affaires étrangères, peut-être a-t-il été un peu embarrassé lui-même pour définir avec certitude la politique de son gouvernement dans la vallée du Nil.

Les incidens qui se sont passés de ce côté depuis quinze jours sont en effet de nature à tenir les esprits en suspens plutôt qu’à les fixer. L’expédition sur Dongola, qui avait été annoncée avec tant d’éclat, paraît subir quelque ralentissement dans son exécution. Nous n’en sommes pas surpris. La saison est vraiment contre-indiquée pour se lancer à travers les plaines brûlées du Soudan, et ceux qui savent de quel degré de confortable ont besoin les officiers et les soldats anglais dans une expédition africaine se demandent si les rigueurs d’un climat torride permettront d’y atteindre dans les mois qui vont s’ouvrir. Évidemment, c’est pour des raisons purement politiques et non pas du tout pour des raisons militaires que le gouvernement anglais a annoncé fin mars l’intention de reconquérir le Soudan. La tranquillité de la frontière était d’ailleurs parfaite : nous n’en voulons pour preuve que