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Eh bien, non. Si belle et poétique qu’elle paraisse, jamais comparaison ne fut moins raison que celle-là. La mélodie ainsi entendue, la « mélodie de la forêt », n’a rien de commun, que dis-je ? elle est en contradiction avec la mélodie qui peut, qui doit servir de fond et de matière à l’œuvre musicale. Wagner, en faisant de la polyphonie l’antécédent, la cause et non la suite de la mélodie, intervertit l’ordre des facteurs. La mélodie n’est pas une résultante et une somme. Ce n’est pas au nombre à produire l’unité ; c’est de l’unité au contraire que doit sortir le nombre. L’unité, ou, si vous le préférez, l’individualité préexiste au nombre et l’engendre. Gounod semble avoir, mieux que Wagner, compris et formulé cette loi. Il a mieux défini la mélodie ou l’idée. Parlant des quatre notes d’attaque du premier morceau de la symphonie en ut mineur, il disait : « C’est bien peu ; mais avec quel empire soudain ces quatre notes s’emparent de l’auditeur ! Avec quelle puissance et quelle autorité elles le captivent, le dominent et l’étreignent jusqu’à la fin de ce morceau incomparable. — Mais, me dira-t-on, comment appelez-vous cela ? Est-ce de la mélodie ? — Je n’en sais rien ; je vous le demande. Ce que je sais, c’est que c’est une idée, c’est-à-dire une forme musicale précise… et, de plus, une forme féconde… Et ce qui prouve d’une façon péremptoire que c’est bien l’idée qui fait les frais de cette merveilleuse composition, c’est que, si symphonique, si concertante, si dialoguée qu’elle soit, on peut presque en donner l’impression exacte en la fredonnant avec la voix (qui ne peut cependant produire qu’un son à la fois), tant la pensée fondamentale, principe du morceau, circule toujours nette à travers le canevas instrumental dont elle fournit le tissu même[1]. »

A la bonne heure, et cette définition, ou ce commentaire vaut mieux. Personnelle et une, existant en soi et par soi, élément premier et irréductible, voilà bien l’idée musicale au sens classique, et, je crois, au sens éternel du mot. La voilà aussi telle que le plus souvent elle manque aux jeunes symphonistes d’aujourd’hui. Il en est un pourtant — mais ce n’est point un jouvenceau — dont les œuvres ont paru beaucoup moins que les autres inconsistantes et vides. C’est une chose charmante que l’Enterrement d’Ophélie, de M. Bourgault-Ducoudray, et quant à sa Rapsodie cambodgienne, sous l’orchestration prestigieuse, à travers les tonalités et les modes exotiques, il est aisé d’y reconnaître, dans la première partie surtout, un fond de sérieuse, de vraie et substantielle musique. Là préexistent à la mise en œuvre, à la coloration par les harmonies et les timbres, quelques thèmes formels et plastiques. Ils ne représentent ni sans puissance ni sans grandeur le conflit entre les forces naturelles, entre le Génie de la terre et celui des

  1. Gounod, Notes inédites.