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esprit, de leur idéal, avec l’idéal d’autrefois ou seulement d’hier. Chacun des programmes de l’Opéra, faisant une part aux œuvres du passé, comportait un rapprochement ou une antithèse intéressante, et ménageait aux œuvres contemporaines un voisinage dont je n’oserais dire s’il fut pour celles-ci plus flatteur ou plus dangereux. Quoi qu’il en soit, et si peu qu’ait produit ou révélé cette série de concerts, n’allons pas en tirer des conclusions trop étendues ou trop sévères. Avertir la jeunesse n’est point en désespérer, et nous ne croirions pas, surtout nous ne crierions pas à la perte de la patrie, alors même que l’année, comme disait Périclès sur la tombe des jeunes guerriers morts, aurait perdu son printemps.

Une chose est d’abord apparue : c’est, dans la jeune école, la suprématie, de la musique dramatique ou lyrique, de la musique chantée enfin, sur la musique pure et, comme disait Hegel, indépendante. Cela est très français, cela est un signe caractéristique et permanent du génie de notre race. Nous sommes au fond des musiciens littéraires, et littéraires à ce point, qu’en nos symphonies et jusqu’en nos pièces instrumentales, un élément descriptif, une intention poétique, une idée enfin extra-musicale s’est presque toujours insinuée. On en pourrait attester, à cent ans d’intervalle, deux de nos plus grands maîtres, Rameau et Berlioz. Un siècle avant les symphonies à programme du compositeur d’Harold en Italie et de Lelio, des morceaux de clavecin tels que les Tourbillons, les Cyclopes, l’Entretien des Muses, sans parler de la Poule ou des Niais de Sologne, témoignaient déjà de notre goût pour la musique à sujet. Aujourd’hui encore nous ne comptons parmi les vivans qu’un grand symphoniste, un seul maître de la musique de chambre. Il est vrai qu’il est de premier ordre : c’est M. Saint-Saëns, et fût-ce parmi les morts — les nôtres — je ne lui trouve pas d’égal, ou de voisin seulement.

Des quelques symphonies jouées à l’Opéra, il n’y en a qu’une qui s’appelle simplement symphonie. M. Widor en est l’auteur. Les autres portent un titre, ont un sujet. Ce sont des tableaux, comme les Temps de guerre, de M. Le Borne, et la Suite carnavalesque de M. Silver ; des poèmes descriptifs ou des impressions : telle la Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray, ou bien : A la villa Médicis, de M. Busser. L’œuvre de M. Busser — un enfant qui revient à peine de Home — est ingénue, et je lui sais gré de l’être. Juvénile et frêle, elle n’a rien de prétentieux ni d’obscur. On voit tout de suite et toujours ce que veut dire cette musique. Peu de chose encore, mais on le voit et elle le dit. Carnavalesque ou guerrière, la musique de MM. Silver et Le Borne a plus d’apparence et de plus brillans dehors. Le premier morceau (Choral) des Temps de guerre est même d’un style assez sérieux et soutenu. Le reste a paru plutôt « amusant », comme disent les