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dans la sphère intérieure des choses, dans le Vrai, le Divin et l’Éternel qui existent toujours, inaperçus de la plupart dans le Temporaire et le Trivial : son être est dans cela ; il déclare cela au dehors par acte ou parole selon le cas en se déclarant lui-même au dehors. Sa vie est un lambeau de l’éternel Cœur de la Nature. » Il est sincère, en ce sens qu’il s’appuie sur la vérité. Il est sérieux, en ce sens qu’au lieu de s’arrêter à la frivole apparence il s’installe dans le Cœur des choses. Il est silencieux, car toute chose a une harmonie, sans quoi elle ne pourrait maintenir sa cohésion et exister ; tout est chant, tout est musique ; mais cette musique ne s’entend que dans le silence. Sérieux, sincérité, silence, sont les signes dont est marqué le grand homme en littérature aussi bien qu’ailleurs. Car la littérature est une « Apocalypse de la Nature », une « révélation du secret ouvert ». L’homme de lettres est envoyé pour nous manifester cette idée divine du monde.

Le génie procède par intuition, l’homme de génie étant par essence un voyant. « Au poète comme à tout autre nous disons avant tout : Vois ! » Sans avoir besoin de passer par la série des raisonnemens et par la chaîne des intermédiaires, il atteint directement son but. Vérité, beauté, bonté, il saisit son idéal d’une prise immédiate. Il s’y élance d’un bond par la seule impulsion de l’élan intérieur. Sa démarche est soudaine et sûre tout à la fois. Inconscient à la manière de l’instinct, il ne sait ce qu’il fait, et il le fait infailliblement. Il ignore les hésitations, les tâtonnemens, les reprises et les retouches. Il n’a eu besoin ni d’être éduqué ni d’être développé ou redressé. — Tel est ce procédé de l’intuition, auquel nul autre n’est analogue, dont nulle analyse ne rend compte et dont nous ne pouvons nous faire même une idée, nous tous qui n’y avons point de part, à qui n’a pas été révélé le lien du visible avec l’invisible, à qui il n’a pas été donné d’être des voyans.

Cela contribue déjà à isoler le génie : mais il y a plus. Nous ne connaissons que par comparaison ; nous ne saisissons que des ressemblances et des différences. Ce qui nous permet d’apprécier, de juger — et d’admirer — l’homme de génie, c’est que nous croyons qu’avec tout son génie il est encore et tout de même un homme. Nous savons, à n’en pas douter, que dans l’humanité il n’y a pas d’êtres surhumains, que le même sang coule dans toutes les veines, que la même argile a servi à pétrir toutes les chairs. Il n’est de différences que de degrés et non pas de nature. Le grand homme réalise plus complètement ce qui chez les autres n’est qu’à l’état d’ébauche ; il est l’exemplaire, non pas encore achevé, mais moins imparfait, de ce qui ailleurs est à l’état inchoatif et embryonnaire. C’est parce qu’il y a entre les autres hommes et lui une commune mesure, que nous pouvons mesurer la distance qui le sépare des autres hommes. — Mais voilà justement ce qu’on se refuse à admettre entre mystiques. Un s’applique à