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contraire, il aimerait à faire parade, en l’enjolivant, pour y gagner du relief. Il a surtout besoin de s’affirmer comme un être pas ordinaire, et, certes, il ne l’est pas ; c’est un outlaw qui a sauté par-dessus les barrières d’une société où il se sentait mal à l’aise ; qui a soif des risques mortels, pour y jouer une vie, seul bien qui lui reste et dont il fait bon marché ; et qui se donne, quand il le faut, avec l’élan du soldat des grandes époques.

D’où viennent-ils, les légionnaires ? L’on peut répondre hardiment : De partout. De toutes les classes, de tous les pays, des plus hauts comme des plus bas échelons, savans ou illettrés, rompus à la vie en y essayant leur première adolescence, amoureux des armes ou simplement épaves de nos civilisations vieillissantes. Beaucoup en rupture de famille, échappés du toit paternel pour de futiles motifs, à d’invraisemblables jeunesses, à peine quinze ans d’âge parfois ; en fuite des charges d’un ménage trop lourd ou mal assorti, les enfans à la rue, la femme abandonnée à d’autres ou à la faim. Il faut croire que ce lien de famille est le plus fort, car, de l’avoir brisé, certains en meurent par désespérance : c’est l’habituelle cause des suicides à la Légion, et l’on peut dire qu’elle frappe surtout sur des êtres de première jeunesse et de conduite irréprochable. Beaucoup aussi en rupture de nationalité ; la désertion après la faute, et, chez les Allemands, principalement par lassitude des mauvais traitemens ; ou, pour les natures aventureuses, l’attirance de la grande nation, à qui ne manquent pas les occasions d’utiliser ses soldats, par drainage des petits peuples qui n’ont pas l’emploi des leurs. Et, à côté de ceux-là, beaucoup d’autres, au contraire, par triomphante survivance de patriotisme chevillé au cœur d’une bonne race. Il faut les avoir vus venir, les avoir interrogés, ces petits, très jeunes, pauvrement vêtus, incapables souvent de bégayer une simple parole française, et les avoir entendus vous répondre de leur voix enfantine, leurs yeux clairs pleins d’assurance : « Je suis ici parce que je ne voulais pas servir l’Allemagne. » Et devant l’humble défilé de ces déshérités de la Patrie, revenant on étrangers au drapeau diminué, qui jadis portait leurs droits, et ne flotte plus jusqu’à eux, il y a trop à se souvenir, et l’âme se serre sur la vision douloureuse.

De même que, balayés sous la rage du cyclone, les oiseaux les plus divers se jettent au même abri, la tempête de la vie rassemble à la Légion les passés les plus disparates, les professions les plus variées. Nombreux y sont les anciens officiers français, victimes d’une démission irréfléchie ou involontaire, ou même chassés par réforme, et recommençant, sac au dos, la première étape d’une carrière dont ils avaient déjà franchi les