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généraliser les pratiques timorées de ces deux grands saints du calendrier républicain ! Veut-on que les familles riches ou aisées prennent l’habitude de déposer leurs fonds au dehors, que les capitaux français se détournent de toutes les entreprises françaises, ou des colonies sur lesquelles notre fisc peut étendre la main ; veut-on que les caisses de Londres, de Genève, de Bruxelles, se remplissent de notre or, il n’y a qu’à décourager l’industrie en fomentant des grèves incessantes et en renonçant à défendre la liberté du travail contre les empiètemens des syndicats ; il n’y a qu’à faire voter, par notre parlement, des lois comme l’impôt progressif sur les successions, ou l’impôt personnel sur le revenu global.

Le capital est, de sa nature, timide et défiant ; il a besoin de sécurité, il redoute l’inquisition des agens des contributions directes. Nos législateurs ne peuvent se flatter de changer son naturel ; plus ils feront mine de le pourchasser, plus il sera enclin à se dérober aux regards indiscrets des préposés du lise. Radicaux et socialistes comptent l’envelopper d’un réseau de lois ; mais il est mobile et difficile à prendre ; pour s’évader, il s’ingéniera à passer entre les mailles du filet des lois fiscales. Au besoin, il se fera nomade.

Qu’on ne vienne pas, ici, comparer les capitalistes à la féodalité, et la finance contemporaine à la noblesse de l’ancien régime : les émigrés de la Révolution n’avaient qu’une fortune territoriale ; ils ne pouvaient emporter leurs fermes dans le coffre de leurs berlines. Il en est autrement de la prétendue féodalité financière ; le capital peut émigrer. avec ou sans le capitaliste ; on cas de besoin, ce dernier n’aurait qu’à le rejoindre — sauf à laisser aux griffes du fisc des châteaux ou des hôtels grevés d’hypothèques. L’hypothèque sur ses immeubles, pour une valeur égale à leur valeur réelle, est encore une des ressources qui, en cas d’appréhension, s’offrent au capitaliste prudent. Antisémites ou socialistes, ceux qui préconisent la confiscation auraient de cruels mécomptes au jour, tant invoqué, de la « grande liquidation ». S’ils réussissaient à mettre la main sur la tirelire des petits, ils trouveraient les coffres-forts vides.

Il n’est, hélas ! pas besoin d’en venir à ces extrémités pour ruiner un pays. Les radicaux y suffiraient, même sans l’aide des socialistes ; il n’y a, pour cela, qu’à persécuter le capital, et à vexer le capitaliste. Radicaux et socialistes auront beau être maîtres du pouvoir, le pouvoir ne saurait toujours maîtriser la richesse ; il lui est plus facile de la détruire et d’en tarir les sources que de les capter. La violence faite au capital ne saurait que précipiter sa