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les banquiers et les commanditaires du globe : l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Hollande, la Belgique. Ils jouent, entre les nations, le rôle odieux de capitalistes. Ce sont, par excellence, les pays riches, possédant, de longue date, une fortune acquise ; et à côté d’eux, grandissent des peuples plus jeunes qu’on pourrait appeler les parvenus de la richesse, tels que les États-Unis.

Grands ou petits, jeunes ou vieux, ils sont cinq ou six peuples qui détiennent la plus grande partie du capital circulant de l’humanité. Socialistes et antisémites pourraient les appeler usuriers entre les nations ; car ils font métier de prêter aux autres, et souvent à gros intérêts. Ils commettent, collectivement, tous les crimes perpétrés, individuellement, par le capitaliste, par le bourgeois ; ils possèdent au loin des terres, dont ils tirent des revenus, sans même les avoir foulées de leurs pieds ; ils ont des hypothèques sur de vastes territoires qu’ils font cultiver, à leur profit, par des nègres d’Afrique et des coolies chinois, voire par des blancs d’Europe ou d’Amérique ; ils sont actionnaires de mines ou d’usines dont ils touchent les dividendes, sans les avoir jamais vues de leurs yeux ; on un mot, ils s’engraissent sans scrupule du travail d’autrui. Si c’est là un crime contre l’humanité, l’Europe occidentale est la grande criminelle ; elle mérite d’être mise au ban du genre humain ; c’est une « exploiteuse » et une « accapareuse » qui, avec ses capitaux, met en coupes réglées les quatre parties du monde.

Car ce ne sont pas seulement les banquiers, les financiers, les hommes d’argent qui écument ainsi le globe et pratiquent cette coupable usure internationale ; ce sont les capitalistes de toute classe, grands et petits ; autant dire que ce sont les nations elles-mêmes, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande. Tout commerçant qui fait une opération au dehors, tout rentier, tout travailleur, tout père de famille qui place un peu de ses écus ou de ses économies à l’étranger, fait du cosmopolitisme financier. Que de petites gens dans cette soi-disant internationale de l’or ! Beaucoup de ceux qui flétrissent bruyamment le « capitalisme cosmopolite » en sont, à leur insu, les adeptes, les complices. Qui détient une obligation sud-autrichienne, une obligation égyptienne, une obligation espagnole, voire une obligation russe, s’est enrôlé au nombre de ces internationalistes. Combien sont-ils, aujourd’hui, chez nous, en France ? des centaines de milliers, peut-être plus d’un million ; et l’on peut assurer que leur nombre va grossissant, chaque jour ; car tout y pousse, et la baisse du taux de l’intérêt, et la difficulté croissante des affaires en France, et les obstacles de toutes sortes apportés