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d’Allemagne. Ces banquiers lombards ou florentins que les antisémites d’alors traitaient parfois déjà de juifs chrétiens pires que les juifs, la papauté ne se faisait pas scrupule d’employer ses foudres spirituelles à les défendre contre les haines du populaire ou contre la cupidité des princes[1]. Ainsi, au rebours du préjugé vulgaire, le personnel de la banque était, sans conteste, plus cosmopolite au moyen âge que de nos jours. Juifs ou chrétiens, le commerce de l’argent se trouvait le plus souvent aux mains d’étrangers ; nos Cahorsins mêmes n’étaient que des Lombards établis en Quercy.

Nous sommes plutôt, à cet égard, en progrès ; si les affaires sont plus cosmopolites que jamais, le personnel financier l’est incomparablement moins. En France, en Allemagne, en Angleterre, en Amérique, en Russie même, la haute banque est, en grande majorité, nationale ou nationalisée.

En plusieurs États, il est vrai, se rencontre encore, dans les conseils d’administration des compagnies de chemins de fer, des sociétés industrielles, des établissemens de crédit, un certain nombre d’étrangers. Ainsi en Espagne et en Portugal, ainsi même en Autriche-Hongrie, ainsi surtout en Turquie et dans les petits États d’Orient, ou encore chez les républiques sud-américaines. Cela s’explique, d’habitude, par la nature de ces entreprises et par l’origine des capitaux qui les ont créées. Quand les États doivent leurs chemins de fer, leurs banques, leurs télégraphes, leurs phares, leurs grandes manufactures, aux ingénieurs ou aux capitaux de l’étranger, quoi de plus naturel que de laisser, dans toutes les grandes affaires, une place à l’élément étranger ? De quel droit s’étonner si, au début surtout, l’étranger y garde la prépondérance ? Il est légitime que ceux qui ont fourni les capitaux ou introduit les inventions gardent la direction. Les pays qui profitent de cet afflux des capitaux seraient mal venus à regretter l’ingérence féconde des capitalistes du dehors. Sur le terrain économique, le farà da se ne saurait convenir qu’aux nations les plus avancées, aux peuples les mieux pourvus de capital ; poulies autres, agir par soi-même, ce serait se condamner à la stagnation. L’exemple de la Chine montre où ce système conduit. Quant aux pays riches et industrieux comme la France, ils travailleraient, manifestement, contre eux-mêmes en protestant contre l’exportation des capitaux. Le protectionnisme nationaliste, qui va répétant : « la France aux Français », se retournerait au dehors contre nos nationaux. Les vieux pays d’Europe ne

  1. Voyez Claudio Jannet : le Capital, la Spéculation et la Finance, p. 104.