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les sentimens d’envie. Besogne facile et lucrative, qui n’a pas seulement pour aides ces auxiliaires complaisans qu’on nomme la jalousie et l’ignorance, car, par sa nature même, par le genre de ses opérations, la finance prête à tous les soupçons et à toutes les accusations. Son office propre étant de manier l’argent, de dispenser le crédit, de commanditer les affaires, le public voit moins les services qu’elle rend que les fautes qu’elle commet ou les bénéfices qu’elle encaisse. Comme ses opérations sont souvent secrètes, que ses négociations sont menées dans le silence et dans l’ombre, — ou bien, qu’étant publiques, elles échappent à la compétence du public ; comme elles sont parfois accompagnées de manœuvres plus ou moins licites, qu’elles exigent souvent l’autorisation des États ou la connivence peu désintéressée de politiciens aux mains trop cupides pour être toujours honnêtes ; comme il est de règle, aujourd’hui, qu’aucun emprunt d’État, aucune émission de quelque importance ne peut réussir sans l’appui d’une presse dont la vénalité a été trop souvent dévoilée pour qu’on ait confiance en sa probité, toutes les démarches de la finance sont devenues suspectes ; elles prennent aisément, aux yeux des masses, un caractère malfaisant ; on lui en veut de savoir le prix de trop de consciences ; on la rend responsable des abus, voire des chantages, des pots-de-vin, des ignobles pratiques auxquelles la rapacité publique ou privée l’oblige de se plier. Et ainsi, elle semble aux peuples la grande puissance corruptrice ; elle apparaît aux simples comme une espèce de sorcellerie diabolique, une façon de magie noire qui tient dans ses mains prestigieuses la fortune des États et qui légitime, par ses maléfices, tous les griefs et toutes les malédictions.

Et cet amas de haines et de rancunes entassées contre la finance s’accumule, encore une fois, sur la tête de ce monstre aux contours vagues que l’on appelle la haute banque. C’est, aux yeux de beaucoup, la coupable de tous nos maux, le suppôt du Malin sur la terre, l’agent du Prince de ce monde, c’est-à-dire de Satan. Nombre d’âmes simples, des artisans dans la poussière de leur atelier, de petits marchands dans leur boutique délaissée, de braves curés entre les murs nus de leur presbytère, se font de cette lointaine et superbe haute banque des visions apocalyptiques. Interrogez tel jeune prêtre, frais émoulu du séminaire et pris pour les questions sociales d’une belle passion de novice, il vous dira que c’est elle, la Bête aux sept têtes et aux dix cornes qui portent chacune un diadème, la Bête pareille à un léopard avec la gueule d’un lion, devant laquelle toute la terre est en admiration, et que le monde adore en disant : « Qui est semblable à la