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paix. « Très Saint Père, lui écrivait-il[1], c’est à V. S. qui daigne regarder avec tant de bonté les avantages de ma maison, qui vous est si parfaitement dévouée, que sont dus les premiers avis que je luy donne par cette lettre… des offres qui m’ont été faites par M. le Maréchal de Catinat pour parvenir à un établissement de la neutralité en Italie. Ces offres consistent à me rendre tout ce qu’on m’avait pris pendant cette guerre, et me remettre Pinerol après en avoir démoly les fortifications, place dont l’importance est assez connue de V. S., au mariage de ma fille avec monsieur le duc de Bourgogne, mariage qui se célébrera, lorsqu’ils auront atteint l’âge requis, dont on passera cependant le contrat, et dès à présent elle sera reçue en France, et le roi lui assignera sa dot, sans qu’il m’en coûte rien, avec d’autres conditions qui me sont avantageuses. »

Ce n’était pas seulement la joie d’avoir marié sa fille sans qu’il lui en coûtât rien qui emplissait le cœur de Victor-Amédée. C’était la juste fierté d’avoir, en poursuivant avec persévérance un double but, la restitution de Casal au duc de Mantoue et celle de Pignerol à lui-même, tiré la Savoie de la dépendance où Richelieu et Louis XIV avaient voulu la réduire. Ajoutons que l’heureuse issue de cette négociation, bientôt suivie de la paix générale signée à Ryswick, ne fait pas moins d’honneur à Louis XIV qui, par l’intermédiaire de Tessé, l’avait dirigée jour après jour, et dans le moindre détail. Chose rare dans l’histoire ! le vainqueur avait su rendre d’injustes conquêtes. En abandonnant Pignerol, en déchargeant la Savoie du joug qui pesait sur elle depuis le traité de Cherasco, il réparait l’erreur de Richelieu et les fautes de Louvois ; il en revenait, malheureusement pour un temps trop court, à cette politique de juste mesure dans l’ambition et de modération dans la victoire dont la France ne s’est jamais départie sans dommage, et à laquelle aucun pays ne saurait manquer sans laisser en suspens la paix de l’Europe ; enfin il rétablissait avec une nation voisine et naturellement amie des relations cordiales qui étaient et seront toujours de l’intérêt commun des deux pays. De ces relations, une jeune princesse de onze ans allait être le gage fragile. Nous venons de voir comment il avait été disposé d’elle à son insu. Dans une prochaine étude, nous montrerons quel visage elle sut faire à sa nouvelle fortune.


HAUSSONVILLE.

  1. Papiers Tessé. La même lettre se trouve en italien aux Affaires étrangères, Corresp. Turin, vol. 95.