du ministre. » En présence de son secrétaire d’État, Victor-Amédée essaya de remettre en question quelques-uns des articles sur lesquels l’accord paraissait établi, et comme Tessé lui opposait la signature de Groppel : « Cependant, répondit Victor-Amédée, si j’ai été assez malheureux pour avoir employé un sot auquel vous avez tourné la teste, et qui, non seulement a excédé mes instructions, mais a signé tout ce que je lui avais défendu de signer, je ne prétends pas tenir ni rattifier les articles par lesquels il a excédé son pouvoir. » « Ni moy, Monseigneur, répliqua Tessé, je ne prétends pas être assez malheureux pour rien changer à un traitté signé, envoyé au Roy mon maistre, et duquel j’attends la rattification d’un moment à l’autre. »
« Sur cela, continue Tessé, la conversation de sa part commença un peu de s’eschauffer. J’essayois de me retenir, mais enfin la gourmette se lascha un peu, et lui ayant demandé la respectueuse liberté de lui parler franchement, je fis une petite récapitulation de ce qui s’étoit passé entre luy, son ministre, son envoyé et moi. » La difficulté soulevée par le duc de Savoie ne portait au fond que sur un point : à quelle époque Pignerol rasé lui serait-il rendu ? Louis XIV voulait que ce fût seulement après la conclusion de la paix générale, à laquelle Victor-Amédée promettait de s’employer. Victor-Amédée voulait que ce fût sur-le-champ, et, pour obtenir cette dernière concession, il donnait une assez surprenante raison, c’était que pour faire une extrême infamie telle qu’estoit celle de changer d’escharpe sans en avoir de prétexte réel, il falloit au moins prétexter cette action d’un extrême avantage. » « Le Roy est trop juste, ajoutait-il, pour vouloir qu’en me déshonorant pour son service, je n’aye pas un prétexte. » « Quoy, Monseigneur, répliquait Tessé, pour me servir des mesmes termes dont V. A. R. se sert, vous voulès, dittes-vous, vous déshonorer pour la possession de Pinerol razé dans trois mois, et vous ne le voulès pas pour la possession de Pinerol razé dans six. » La conversation durait sur ce ton jusqu’à cinq heures du matin, pour reprendre le lendemain au soir, et ne se terminer qu’à une heure après minuit. Enfin Victor-Amédée, voyant qu’il ne pouvait rien tirer de Tessé, se décida à le faire reconduire avec les mêmes précautions. Tessé ne put regagner Pignerol et échapper aux partis qui tenaient la campagne, qu’en se cachant à plusieurs reprises dans les blés.
Après cette infructueuse tentative pour obtenir quelque concession dernière, Victor-Amédée prit enfin son parti, et, le 29 juin, le traité était définitivement signé par Tessé et Saint-Thomas, munis de pleins pouvoirs. Ce traité devait demeurer provisoirement secret, mais il était convenu que, par une lettre