Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Royale est depuis la guerre. Et pour lors, l’ostage de Mme la princesse ne seroit qu’un faible gage d’une union très incertaine. » Victor-Amédée sourit à ce discours ; mais il prit son parti de laisser repartir Valère, non sans avoir expliqué au trompette qui l’accompagnait « qu’entre mourir et estre pris en le reconduisant à Pinerol c’estoit la mesme chose[1]. »

L’accord finissait cependant par s’établir sur les places que le Roi demandait à conserver en garantie de l’exécution des engagemens pris par le duc de Savoie, et le 29 mai 1696, Tessé et Groppel signaient à Pignerol une convention qui consacrait cet accord. Mais à peine ce dernier était-il rentré à Turin, que, plus mort que vif, il écrivait à Tessé, que son maître l’avait désapprouvé d’avoir accepté certaines modifications relatives aux conditions de la restitution de Pignerol et qu’il refusait de ratifier la convention. Tessé n’était guère moins troublé, car il craignait que cet incident imprévu ne lui fît tort aux yeux de Louis XIV, et ne compromît son renom d’habile négociateur. Aussi cherchait-il par avance à s’excuser : « Quand un prince se veut barbouiller et déshonorer et désavouer ce que son ministre a fait, ce sont choses que toutes les pénétrations du monde, ni les mesures possibles ne peuvent éviter. Votre Majesté me permettra d’ajouter qu’un théatin consommé dans la patience, s’impatienterait à ma place de tout ce qui m’arrive avec ces gens-là dont j’avoue que les variations et les procédés m’excèdent de douleur et de chagrin[2]. »

Pour sortir de cette difficulté nouvelle, Tessé ne voyait qu’un moyen. C’était de se prêter à une dernière entrevue avec Victor-Amédée. Il se rendait de nouveau à Turin, dans la nuit du 4 au 5 juin, cette fois sous le déguisement d’un valet de l’adjudant général de Savoie. « Votre Majesté, écrivait-il à Louis XIV, en lui rendant compte, dans une longue lettre[3], de son expédition, n’aurait pu s’empêcher de rire, de me voir avec une perruque bien noire de M. le maréchal de Catinat. » Cette fois il fut reçu par Victor-Amédée en personne qui, inquiet de son arrivée, l’attendait seul dans son jardin. Ils se promenèrent quelque temps le long du rempart non sans que, avouait plus tard Tessé à Barbezieux, le diable ne le tentât de « jeter du haut en bas ce cauteleux prince et de lui rompre le col. » Le duc de Savoie le conduisit ensuite, au travers de deux ou trois rues obscures, chez le marquis de Saint-Thomas qu’ils trouvaient malade et couché « dans un lit dont la chambre, les meubles, et deux tristes chandelles de suif, ne marquaient ni les bienfaits du maistre, ni la commodité

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 1er mai 1696.
  2. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 1er juin 1696.
  3. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 10 juin 1696.