quelques difficultés et revient sur ses engagemens. Tessé s’indigne de ces variations perpétuelles, et compare le duc de Savoie tantôt « à un malade capricieux et subtil », tantôt à un baladin qui, devant un public de foire, fait passer un objet d’un gobelet dans un autre : « Cinq sous qu’il est dedans ! cinq sous qu’il est dehors ! » Mais si des places de guerre peuvent difficilement passer, comme une muscade, d’un gobelet à un autre, il n’en était pas tout à fait de même d’une garantie d’une autre nature que Victor-Amédée offrait en même temps, comme nous allons le voir, de deux côtés à la fois, et qui n’était rien moins que sa propre fille.
C’était un usage assez fréquent de l’ancien droit des gens, dans les cas où quelque engagement conditionnel était pris par un traité ou une convention, que des otages fussent constitués pour répondre de l’accomplissement de la condition. En principe les otages répondaient sur leur vie. En fait, et par suite de radoucissement relatif des mœurs, il n’y avait guère en jeu que leur liberté, pourvu toutefois que ce fussent des otages de qualité, car pour les autres on n’y regardait pas toujours de très près[1]. Ce n’en était pas moins une proposition assez singulière que faisait le duc de Savoie, lorsque dès le début de la négociation, il proposait d’envoyer en France une de ses filles comme otage de sa parole, en même temps que le fils aîné du prince de Carignan, alors l’héritier présomptif de la couronne. La princesse ainsi proposée ne pourrait-elle pas tenir lieu des places qu’on lui demandait en garantie ? L’offre était au début assez vague, et, dans les instructions données à Groppel, il lui était même recommandé formellement de laisser dans le doute laquelle de ses deux filles Victor-Amédée offrait ainsi. Cependant, au cours des communications qui s’échangeaient, par lettres chiffrées, entre Pignerol et Turin, la proposition prenait corps et se précisait. C’était de l’aînée des deux princesses qu’il s’agissait. Elle n’avait pas huit ans, étant née le 6 décembre 1685. Aussi la proposition paraissait-elle peu sérieuse à Versailles. « Je balancerais, dit une note de Croissy[2], sur la demande d’envoyer en France, comme otage de sa parole, la princesse sa fille, et le fils du prince de Carignan. Ces sortes de conditions sont plutôt une marque offensante de la mauvaise opinion de la parole de ceux auxquels on la demande qu’une sécurité pour la faire tenir. On sait que des enfans de cet âge ne courront point de fortune, quoi que puisse faire M. le duc de Savoye, et l’on ne