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relation qui se trouve aux Affaires étrangères[1], dont le mérite ait fait plus de bruit que celui de Madame Royale, et il semblerait qu’à parler d’une personne qui n’est plus jeune, puisqu’elle passe quarante-cinq ans, on devrait taire tous les avantages du corps pour ne s’arrêter qu’à ceux de l’esprit. Cependant il est constant que, jusques à l’heure présente, l’âge n’a rien diminué des grâces de cette princesse et qu’elle efface encore aujourd’hui les plus belles femmes de la cour par la noblesse de son air, et par je ne sais quels agrémens qui lui sont particuliers. » Mais le véridique auteur de la relation ne peut s’empêcher d’ajouter : « Tant de perfections et de belles qualités se trouvent néanmoins ternies par le peu d’empire qu’elle a sur son cœur et par ses galanteries. »

Madame Royale avait, en effet, des galanteries, et, qui plus est, publiques. C’était d’abord avec le comte de Saint-Maurice, dont le père était un des principaux personnages de la cour de Savoie. Ce premier favori, par ses fatuités et ses vantardises, n’ayant pas tardé à se rendre désagréable, Madame Royale, pour s’en débarrasser, l’envoyait en ambassade. Son secrétaire particulier, un certain Lescheraine, se hâtait avec joie d’en informer Mme de la Fayette ; mais celle-ci ne se réjouissait pas autant que lui, car elle n’avait pas confiance dans la sagesse à venir de sa royale amie. « Je vous ai trouvé, répondait-elle[2] à Lescheraine, si rassuré, d’un ordinaire à l’autre, sur un chapitre où il faut des années entières pour se rassurer, que je ne sçay si vous m’avez parlé sincèrement ; encore quand je dis des années entières, c’est des siècles qu’il faut dire, car à quel âge et dans quel temps est-on à couvert de l’amour, surtout quand on a senty le charme d’en être occupé ? On oublie les maux qui le suivent ; on ne se souvient que des plaisirs, et les résolutions s’évanouissent. Je ne sçaurais vous croire si rassuré sur le Niçard, et sur d’autres dont vous ne m’avez point encore parlé. Je souhaite que vous n’ayez rien à me dire. »

Le Niçard, c’était un certain comte de Masin, et Mme de la Fayette avait raison sur Lescheraine. En revenant de son ambassade, « ce pauvre chien » de Saint-Maurice se trouvait remplacé, et une histoire scandaleuse dont l’auteur de la Relation sur la cour de Savoie se fait l’écho ne tardait pas à courir Turin. Fort de ses anciens privilèges, il entrait un jour brusquement dans la chambre de Madame Royale, mais il trouvait en son lieu et place le comte de Masin. Aussitôt il mettait l’épée à

  1. Aff. étrang. Correspondance Turin, vol. 94.
  2. Lettres de Mme de la Fayette à Lescheraine, publiées par M. Perero ; Turin, 1880.