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On y a passé outre ; mais nous restons convaincu que les commissaires de la Dette ne pouvaient prendre, en pareil cas, une résolution valable qu’à l’unanimité. La question a été portée sur le terrain judiciaire ; nous avons confiance dans les tribunaux de la Réforme. Au surplus, cette difficulté n’est pas la plus grave de celles que l’expédition anglaise ne manquera pas de rencontrer. Le Soudan égyptien n’est plus publiquement dans la situation où il était lorsque les Anglais l’ont abandonné. Des intérêts qui n’existaient pas autrefois, intérêts de voisinage et d’équilibre, s’y sont formés. On a pu s’en apercevoir lorsque le traité conclu entre l’Angleterre et le roi du Congo a provoqué les protestations énergiques de la France et de l’Allemagne. Il s’agissait précisément de disposer, sous forme de bail, de territoires qui appartenaient à l’Egypte, et où on introduisait d’autres occupans. Les intérêts qui se sont groupés alors pour la défensive, et dont il a bien fallu tenir compte, subsistent. Peut-être l’Angleterre a-t-elle voulu prendre contre eux quelque revanche, mais cela n’est pas sans danger : on s’en apercevra un jour ou l’autre. En tout cas, l’initiative de l’Angleterre déplace la question d’Egypte. Elle était réduite jusqu’ici à des proportions parfaitement connues et dont les élémens étaient relativement simples. Elle se pose aujourd’hui, ou du moins elle se posera demain, sur un terrain nouveau, où des intérêts très divers sont les uns déjà formés, les autres en voie de formation. Ces intérêts n’abdiqueront pas au profit exclusif de l’Angleterre. Or c’est d’elle seule qu’il s’agit. S’il s’était agi de l’Egypte, il aurait fallu la consulter, et nous ne mettrons pas en doute qu’elle n’eût préféré de beaucoup sa libération immédiate à la conquête hypothétique du Soudan. Il aurait fallu consulter le gouvernement ottoman, et sa réponse aurait été, s’il est possible, encore moins douteuse.

Nous ne parlons pas des difficultés inhérentes à l’entreprise elle-même : à cet égard les souvenirs du passé sont suffisamment instructifs. Lorsque M. Berthelot, dans sa réponse à une question du prince d’Arenberg, disait que tout le fonds de réserve de la Caisse de la Dette risquait d’être employé à l’expédition soudanaise et ne suffirait pas à y faire face, il n’avait que trop raison. L’expédition coûtera très cher, et il n’est pas sûr que les embarras financiers soient les plus considérables auxquels on se heurtera. Qui sait si le gouvernement anglais n’y trouvera pas quelques surprises à l’italienne ? Cela lui est arrivé déjà, et bien qu’il supporte ces mésaventures plus allègrement que son ami de Rome, on ne saurait le voir s’y exposer sans des appréhensions d’autant plus vives que les conséquences ne s’appliquent pas seulement à lui. D’autres puissances encore sont intéressées à ce que l’état relativement pacifique et calme du Soudan ne soit pas troublé. Lorsqu’on présente, à Londres, l’expédition projetée comme conforme au bien