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parlons, les générations qui montent, déjà prêtes à envahir la scène, hésiteraient-elles, dans leur inexpérience des choses, à choisir entre les perspectives colorées et riantes que leur ouvre le parti radical et socialiste, et les perspectives grises que leur présente le parti modéré ? D’un côté sont la vie, l’entrain, l’espoir des grandes réformes ; de l’autre il n’y a eu, jusqu’ici du moins, que des choses neutres, qu’on a qualifiées de négatives et qui ont mérité en partie ce reproche. L’homme ne vit pas seulement de pain, et surtout de pain sec. N’est-il pas à craindre que les générations jeunes, encore ignorantes de la vie, ne se laissent entraîner du côté où le radicalisme et le socialisme les appellent à de grandes et à de fraternelles agapes ? Beaucoup croient qu’elles y vont en effet, et peut-être ne se trompent-ils pas tout à fait. Elles en reviendront sans doute avec une déconvenue amère, écœurées et lassées ; mais ne vaudrait-il pas mieux lutter pour leur épargner la déception du voyage et la tristesse du retour ? Ce désenchantement pèse quelquefois sur toute la vie.

Nous nous sommes peut-être trop abandonnés à des considérations rétrospectives, qui étaient plus vraies hier qu’elles ne le sont aujourd’hui. Le parti modéré, après une longue somnolence, s’est réveillé tout d’un coup ; il a cessé de mériter la plupart des reproches qu’on lui adresse encore par habitude. Depuis quelques semaines, il flambe vraiment d’un beau feu : toute la question est de savoir si ce sera feu de paille ou feu durable. Dans le premier cas, nous retomberons dans la situation dont nous venons de reproduire les principaux traits ; dans le second, nous serons débarrassés bientôt du cabinet radical. Il ne saurait résister longtemps à des assauts du genre de ceux qu’il a subis depuis quelques semaines et dont il est sorti à peine vivant. Rendons au Sénat la justice que c’est lui qui a donné le signal du mouvement. Sans lui, peut-être la Chambre serait-elle encore dans son premier état d’engourdissement. Le Sénat a soulevé le premier l’affaire Rempler-Le Poittevin et l’a placée dans son vrai jour. La Chambre s’en est emparée à son tour, et une première grande bataille a été livrée au ministère. Que le Sénat eût eu raison dans ses critiques, personne n’en doutait ; la majorité de la Chambre le savait parfaitement bien ; mais l’habileté du gouvernement a été de ramener la question sur le terrain politique, et sur celui de tous où les hésitations et les défaillances individuelles devaient être le plus nombreuses. C’est pour faire la lumière dans les affaires du chemin de fer du Sud de la France que M. Rempler juge d’instruction, a été remplacé par M. Le Poittevin. On n’imaginerait pas à quel point cette promesse de faire la lumière agit sur la Chambre : nul ne veut s’exposer au soupçon de s’y opposer. Le gouvernement, bien que sa mainmise sur l’indépendance de la magistrature eût produit partout l’impression la plus pénible, a donc eu une