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essayé de renoncer à elle. Et il s’est tué ; et une cantatrice célèbre, avec qui il s’était marié dans la vaine espérance d’oublier Valérie, une certaine Estelle Desveaux, vient donner des représentations à Lipara, au théâtre de la cour. C’est alors, autour de l’impératrice, tout un jeu d’intrigues, de démarches faites contre son gré pour interdire les représentations, des menaces de scandale : de sorte que la malheureuse, affolée, s’ouvre à son mari de son triste secret.

— Et maintenant, lui demande Ottomar, cette femme va chanter ?

— Demain soir.

— Il vaut mieux, Valérie, que nous n’aillions pas au théâtre, à cause de Xara…

— Oui, Ottomar, à cause de Xara.

Et tout à coup désespérée, sanglotant de toute son âme, elle se jette dans ses bras : « Ottomar, par pitié, secours-moi, secours-moi ! Je suis si faible ! Pardonne-moi, Ottomar… Cela ne pouvait durer ainsi… Impossible de rien dire à personne, pas même à Sophie… A toi seul, n’est-ce pas ? à toi seul je puis parler… Ottomar… tiens… »

Elle cherche sur sa poitrine, s’arrache du cou une chaîne avec un médaillon.

— Tiens, Ottomar, prends cela, jette, brûle cela ! C’est cela qui me rend si faible. Depuis des années, c’est cela qui m’enlève toute force ; depuis des années cela me ronge, comme si c’était du poison… »

Elle se laissa tombera ses pieds, avec de terribles sanglots… Et Ottomar vit dans le médaillon le portrait du prince Léopold.

Il pâlit, abaissa un regard sur Valérie, toujours sanglotante à ses pieds. Oui, elle avait dit vrai : c’était en effet du poison. Et brusquement, il brisa le médaillon, le jeta au loin.

Alors il se pencha vers sa femme, il la releva, la tint dans ses bras. Et il l’écoutait pleurer, debout devant la fenêtre, les yeux fixés sur son empire assoupi dans la nuit.

Xara, dont parle Ottomar, c’est la colonie pénitentiaire où vient d’éclater la révolution : et l’on voit aussitôt ce qu’il y a de profondément tragique dans la coïncidence de ces deux catastrophes, brisant du même coup les deux rêves les plus chers du jeune empereur.

Ce sombre pessimisme est d’ailleurs un trait commun à plusieurs écrivains hollandais. Il se retrouve, notamment, dans les nouvelles et les contes de M. Marcellus Emants, mais, hélas ! bien dépouillé de l’harmonieux appareil de faste et de poésie dont l’a revêtu l’auteur de la Paix du Monde. On ne saurait imaginer de récits plus prosaïques, je veux dire plus rigoureusement réalistes, et d’une minutie d’analyse plus impitoyable, que les deux histoires publiées récemment par M. Emants, l’une dans le Gids, l’autre dans la Tweemandeliiksch Tiidschrift. Ou plutôt ceux-là seuls d’entre nous peuvent se faire une idée de ce genre qui ont lu, et qui n’ont pas achevé d’oublier, les