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beaucoup d’autres dans le langage international, les producteurs d’Extrême-Orient sont par trop handicapés, favorisés dans leur course aux bénéfices ; la concurrence n’est plus possible ; ils ont sur nous par trop d’avance.

Ce qui n’empêche que l’importation des machines européennes va se multiplier en Chine, et que ce sera pour nous le résultat le plus certain de la dernière guerre : elle aura ouvert à la civilisation l’empire des ténèbres. Un monde qui dormait va s’éveiller. Des chemins de fer, des usines vont jeter la vie dans ces multitudes engourdies qui consommeront et surtout produiront davantage. Des services de paquebots vont remonter ces grands fleuves dont les noms étranges ont égayé notre enfance ; des centres populeux, congestionnés, trouveront l’emploi de leur activité au bord de ces fleuves et de leurs affluens dans les vallées fertiles, inexploitées. Les Chinois recevront nos commandes, vendront du charbon, du fer, des tissus de coton, de soie, de laine, sans parler du reste ; — que leur vendrons-nous en échange ?

Et quand la Chine, éveillée comme le Japon, se sera mise au travail avec nos outils ; quand ses masses encore inertes viendront à notre appel, par centaines de millions, activer encore la concurrence déjà effrénée où l’Europe lassée s’épuise ; quand nos ouvriers, en un mot, verront leurs ateliers se clore, leurs heures de travail se réduire et leur gagne-pain, celui de leurs enfans, disparaître, qu’arrivera-t-il ?

Quand les Amériques, l’Australie, le Cap, les Indes, l’extrême Orient nous auront fermé leurs portes et nous disputeront les marchés de l’Afrique qui nous restent ; quand les vastes empires que l’Europe avait savamment asservis ou patiemment ouverts à son commerce pourront se suffire à eux-mêmes, se passer de nous, quand ces gigantesques cliens, en un mot, n’auront pas craint de se changer en concurrens, quand une puissante colonie ne sera plus en fait qu’une redoutable rivale, n’est-ce pas toute une révolution dont on n’ose envisager les conséquences politiques, économiques, sociales ?

Puissé-je n’être qu’un visionnaire et me tromper grossièrement. Puisse quelque surprise, quelque découverte inattendue me donner tort, réduire à néant mes craintes et démontrer que l’Europe est jeune encore et pleine de ressources. N’a-t-elle pas sur tous ses rivaux l’avantage de posséder des réserves anciennes, immenses, accumulées ? Ne lui suffira-t-il pas pour rester prospère de subvenir aux besoins de bien-être et de luxe qui vont se développer dans le monde et peuvent renouveler notre clientèle ? Avec quelle ardeur je le souhaite ! Avec quelle