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consommation est tombée, de 2 kilos et demi et 3 kilos, à 700 grammes en moyenne, par cheval et par heure, et cela seulement par un emploi plus judicieux du calorique.

Car on ne cherche pas à rationner les chaudières ; on les gave au contraire et, pour les forcer à avaler plus vite ces amas de houille, dont la fumée s’échappe par des cheminées géantes ayant jusqu’à 5 mètres de large, on a imaginé le « tirage forcé ». Huit ventilateurs, sur la Touraine, envoient dans les foyers 60 000 mètres cubes d’air à l’heure, afin d’exciter le charbon à brûler plus vite. Ce tirage artificiel est indispensable ; si les ventilateurs s’arrêtent, si leur débit diminue, la chaleur devient moindre et la marche du navire s’en ressent aussitôt. Il faut en effet des pressions extrêmes, une vapeur initiale à la température de 175 degrés centigrades, pour exécuter avec fruit la triple besogne que l’on a vue plus haut.

Avant sa transformation en vapeur l’eau, d’alimentation est préparée à son rôle ; lorsqu’elle arrive dans la chaudière, elle est déjà chaude ; amenée par divers systèmes à un état voisin de l’ébullition. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette eau se vaporise. À sa sortie du dernier cylindre elle est allée se refroidir dans des condenseurs, y reprendre la forme liquide, pour recommencer, après ce repos, sa perpétuelle métamorphose. Il entre dans les chaudières d’un paquebot de 20 000 chevaux 30 litres d’eau par seconde et 16 000 mètres cubes par voyage. Sans la condensation de la vapeur, il n’est pas de navire qui pourrait produire par la distillation, encore moins loger dans ses cales la cinquième partie de l’eau qu’il emploie ; tandis qu’avec le système usité la provision d’eau douce n’est guère que de 6 à 700 tonnes.

Jusqu’à ce qu’on ait trouvé un autre combustible, jusqu’à ce que les résidus de pétrole par exemple, huiles de goudron ou mazouts, expérimentés déjà sur une échelle assez vaste, mais dont l’emploi est encore restreint, remplacent la houille, cette dernière grève lourdement l’exploitation navale. Dans mon étude sur le Papier[1] je constatais qu’à terre la machine à vapeur se faisait vieille, qu’on cherchait sourdement à l’évincer, à lui substituer des moteurs moins chers à entretenir. Sur mer, ces paquebots dont les rouages dévorent 9 000 kilos d’huile pour s’adoucir, durant la traversée aller et retour de France en Amérique, ont une avidité de charbon ruineuse. C’est d’abord l’achat qui est onéreux : 23 francs la tonne au Havre, 29 francs à Marseille,

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1895.