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première classe, à côté des demeures plus modestes de la seconde.

Un escalier monumental nous conduit au « pont » proprement dit, que l’on continue d’appeler supérieur bien qu’il soit surmonté de deux autres : le pont-promenade ou spardeck et le pont-abri. Le milieu du premier est consacré à des roofs, constructions légères éclairées par le plafond, où sont disposés salons, fumoirs et grandes cabines de luxe. À droite et à gauche, sur toute la longueur du bâtiment, un vaste espace couvert permet aux amateurs de marche défaire « les cent pas », et même près du double, sans se retourner. S’ils ne craignent pas le vent, si le temps est beau, ils peuvent s’élever encore et affronter le pont-abri. C’est le toit du navire, où se balancent les embarcations de sauvetage, où débouchent d’innombrables tuyaux d’air de toutes dimensions. Il est dominé à son tour par la passerelle réservée au commandant : c’est là qu’à 14 mètres au-dessus des flots, à 22 mètres au-dessus de la cale, — hauteur d’une maison de cinq étages des caves aux mansardes, — est la chambre de veille, munie des instrumens de timonerie, des traditionnels sabres d’abordage, à côté du « fusil porte-amarre ». Le bâtiment est partagé de la cale au pont, par des cloisons verticales de fer parfaitement étanches, en 14 portions distinctes, pour arrêter l’envahissement de l’eau en cas de choc, la propagation du feu en cas d’incendie.

De semblables colosses exigent, pour se mouvoir avec la rapidité que l’on attend d’eux, des machines d’une puissance inouïe. L’énergie demandée à la vapeur, dans une usine ou un chemin de fer, n’est en rien comparable à celle qui est ici nécessaire. Le même bateau, qui fait aisément ses 19 kilomètres à l’heure avec 2200 chevaux, a besoin, pour faire le double (38 kilomètres), d’une force décuple (22 000 chevaux). Dans les mers d’Orient, les paquebots des Messageries ne dépassent pas 7 000 chevaux ; sur l’Océan, un paquebot du type de la Champagne développait, il y a dix ans, 9 000 chevaux. Aujourd’hui, au lieu d’une machine, on en met deux. Celles qui fonctionnent côte à côte à bord de la Touraine atteignent ensemble 12 000 chevaux ; celles dont sera doté le prochain transatlantique représenteront 15 000 chevaux. Il est curieux de remarquer à ce propos que le Creuzot tout entier, la plus grande manufacture du monde, ne possède pas plus de 15 000 chevaux-vapeur. Cependant les deux moteurs du Lucania, des Cunard, sont déjà de 24 000 chevaux ; et l’on projette, m’assure-t-on, de l’autre côté du détroit, un bâtiment plus vigoureux encore, qui serait activé par trois machines, de 33 000