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Si vous êtes à Paris à mon retour, comme je l’espère, vous savez que vous me devez une visite à la collection de M. Pourtalès.

Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMÉE.

Lundi, 19.


Paris, 22 décembre au soir, 1858.

Madame,

Lorsque j’ai reçu votre aimable lettre, le sort de M. l’abbé Cruice était déjà décidé, et il avait obtenu l’unanimité de nos suffrages. Je lui avais donné le mien par pur amour du grec dès que j’ai su qu’il voulait publier les Philosophoumena. Rarement on accorde toute la somme demandée pour les frais d’impression, mais cette fois tout le devis a été voté sans la moindre opposition. Vous voyez, madame, que vous ne m’avez aucune obligation. M. Cruice est venu me voir avant-hier matin quand malheureusement j’étais encore au lit avec un peu de fièvre, et je n’ai pu lui faire moi-même mes complimens. C’est ce temps abominable qui m’a donné un rhume dont je vais me guérir à Cannes, où je serai avant la fin de l’année.

Je voulais, madame, vous écrire de Compiègne, mais j’ai été retenu d’abord parce que je n’avais à vous conter que des choses qui ne vous auraient pas intéressée, puis surtout parce que je ne savais où vous adresser ma lettre. Vous ne sauriez croire comme cette pensée d’une lettre errante, arrivant longtemps après avoir été écrite, me tracasse quand je veux écrire à quelqu’un. Pendant que je faisais mes calculs pour deviner le lieu que vous habitiez, le temps se passait et la poste partait. Quand je dis que le temps se passait, c’est une façon de parler, car je l’ai trouvé assez long. Cependant j’ai appris deux choses : premièrement, c’est qu’on peut vivre au grand air et dans un four sans inconvénient et même avec avantage pour la santé ; secondement, j’ai appris à faire des glaces, j’entends des glaces de Saint-Gobain. J’ai beaucoup admiré là le savoir-faire de mes maîtres, à qui on a fait une réception merveilleuse. J’ai surtout été charmé de voir une jeune personne que j’avais connue assez indifférente aux choses qui ne l’amusaient pas, prendre maintenant goût à son métier, et le faire en conscience et réussir complètement. Le peuple français étant donné, je ne crois pas la chose très difficile, mais il faut y prendre quelque peine et s’y mettre tout à fait.

Vous avez vu les tableaux bibliques de Martin, ou du moins les illustrations de Milton et les lumières fantastiques dont il