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a duré tout le temps de mon séjour. Les vieux palais avec leurs grands anneaux de fer, les églises, les rues, et les habitans même, tout m’a enchanté. Le parler de ces gens-là a quelque chose de musical qui me va droit au cœur, et j’aime jusqu’à la façon dont ils prononcent le C. Cela ôte à l’italien ce qu’il a d’un peu efféminé. Ma plus grande joie a été de voir une foule de tableaux que je connaissais par des copies ou par des gravures ; c’est dommage que les musées soient mal éclairés et mal tenus. Y avait-il déjà de votre temps aux Uffizi l’Orateur étrusque, cette belle statue de bronze de l’école réaliste ? On l’a placée le dos au midi, et les jours de soleil on ne voit absolument rien. J’ai trouvé dans la sacristie de Santa Croce (je crois) un tombeau d’une cousine ou sœur de Mlle de F… Cela est un peu recherché et coquet, mais plein de grâce. Je ne tiens pas à ce que l’on trouve les bonnes choses sans travail : l’important c’est de produire du bon. Je suis encore furieux d’avoir vu dans la même église le tombeau de ce méchant plagiaire d’Alfieri entre Dante et Machiavel. La duchesse d’Albany s’est fait enterrer modestement dans la sacristie. De Florence, dont je ne veux pas vous dire toutes les merveilles que vous connaissez mieux que moi, je suis allé à Pistole et à Sienne, où je me suis donné une indigestion de préraphaélites ; puis je me suis acheminé à Nice à petites, très petites journées, le long de la Corniche. Depuis la Spezzia, c’est une suite de tableaux admirables, même pour quelqu’un qui avait encore devant les yeux les montagnes de la Suisse, de Salzbourg et du Tyrol. Dans cette saison surtout, c’est un voyage délicieux. Enfin, ce qui ne gâte rien, on trouve partout de bonnes auberges, sans animaux ennemis du repos des voyageurs. Au reste, je crois qu’il n’y en a plus, ni de mauvaises auberges, qu’on France. Je disais à Sa Majesté qu’elle devrait réformer ce scandale et faire venir dans quelques villes une colonie d’aubergistes suisses et de « kellners » pour civiliser notre patrie. Observez, madame, l’influence qu’une mauvaise nuit a sur les impressions de voyage. S’il y avait des hôtels en France, il y aurait des voyageurs, et en effet il y a, même assez près de Paris, quantité de lieux qui valent ce qu’on va voir outre-mer ou outre-monts. Je suppose, madame, que vous n’avez quitté la Brie que pour la Touraine. J’ai reçu, il y a quelques jours, la visite d’Edouard C… arrivant de Jérusalem et de Moscou. Son père m’a écrit ; il se trouve médiocrement bien dans ses foyers, mais n’en veut pas sortir avant d’avoir marié sa fille. Quant à Edouard, il passera son hiver ici. Il est présentement en Angleterre, mais seulement pour quelques jours. Pas un chat à Paris, ce qui me convient