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affaires de la péninsule, Mathieu Lang s’était fait connaître de ce côté des Alpes par une hauteur et une superbe qui allèrent souvent jusqu’à l’insolence. L’année précédente, à Bologne, il avait déclaré au-dessous de sa dignité de s’aboucher avec une commission de cardinaux : représentant du souverain le plus auguste du monde, il ne pouvait traiter qu’avec le vicaire de Jésus-Christ en personne, devant lequel il entendait rester assis et la tête couverte ; et il s’en était retourné à Mantoue sans avoir pris congé du pape : barbarus est, barbare egit, écrivit alors, dans son journal intime, Paris de Grassis. Il venait maintenant à Rome faire, au nom de son empereur, amende honorable de bien des bravades et incartades passées ; et Jules II trouva piquant d’accabler cette fois l’ambassadeur, si infatué de son importance, d’honneurs « tout à fait princiers[1]. » Il le reçut sur le trône en plein consistoire ; il le créa cardinal, lui passa même la fantaisie de garder son choquant costume de chevalier tudesque pendant les solennités les plus grandes, à la profonde consternation du maître des cérémonies et de maints dignitaires de l’Eglise. Poètes et rhéteurs célébrèrent à l’envi la présence du Gurcense dans la cité éternelle ; il y eut des illuminations et des réjouissances populaires, des festins et banquets avec des spectacles et intermèdes variés et brillans. « Hier, — mandait Stazio Gadio le 11 novembre au marquis de Mantoue, — pendant le dîner de Sa Sainteté, fut représentée une comédie où sont intervenus Apollon et les Muses pour chanter les louanges du pape, de l’empereur et du Gurcense. Puis Sa Sainteté et l’ambassadeur impérial ont couronné deux poètes, l’un de Panne et l’autre de Rome. Un docte aveugle (uno cieco dotto) a aussi chanté des vers latins, en s’accompagnant sur la lyre.., » Involontairement on pense ici à l’Homère du Parnasse dans la stance vaticane… Bien des gens étaient d’avis que le Rovere allait trop loin dans ses complaisances envers le « barbare », fils d’un bourgeois d’Augsbourg ; mais on ne tarda pas à connaître la rançon de toutes ces gracieusetés, et on fut forcé de la proclamer magnifique. C’était le 3 décembre, le jour où le concile reprenait dans la basilique Saint-Jean les travaux interrompus depuis le mois de mai. Le pape, les cardinaux, les soixante-douze évêques, les généraux des ordres et les « orateurs » des puissances étaient tous présens. Sur l’ambo apparut Fedra Inghirami, à l’embonpoint redoutable et à la tête si spirituelle. De sa voix sonore et mélodieuse qui a tant charmé Erasme de Rotterdam, le bibliothécaire de Jules II, et secrétaire du synode œcuménique, donna lecture d’une lettre par laquelle

  1. Pierius Valerianus, De honoribusGurcensi Urbem ingredienti habitis. Ap. Freher, Ber. germ. Script., II, p. 293 seq.