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autant que lui pour s’attirer la haine du Rovere. Il était le gendre d’Alexandre VI, le client de Louis XII, et depuis deux ans il avait eu sa large part dans toutes les défaites et humiliations du pape. On se racontait que récemment encore il avait fait fondre la statue de Jules II à Bologne, l’œuvre de Michel-Ange, en une coulevrine monstre : il l’avait baptisée du nom de Giulia, et placée à l’entrée de son château de Ferrare. Aussi bien les Romains se promettaient-ils un spectacle tout à fait extraordinaire le jour de l’absolution du duc ; il allait, disait-on, recevoir les verges devant la porte de la basilique, à genoux, la corde au cou et en chemise de pénitent. Mais la foule qui, dès le matin (9 juillet), avait rempli la place immense de Saint-Pierre, fut cruellement déçue dans son attente ; la cérémonie eut lieu à l’intérieur du Vatican, à huis clos et dans la forme la moins blessante possible. La question politique était beaucoup plus difficile à régler, car Jules II maintenait toujours les droits du Saint-Siège au territoire ferrarais : « J’ai donné au duc un sauf-conduit pour sa personne, mais non point pour ses États », dit-il à l’envoyé vénitien Foscari. Une commission de six cardinaux fut déléguée pour traiter de ce point délicat avec Alphonse d’Esté ; en attendant celui-ci occupait ses loisirs ou trompait ses inquiétudes à examiner les curiosités de la ville, entre autres « les chambres du pape Alexandre qui sont toutes très belles » et qui devaient avoir un intérêt particulier pour le mari de Lucrèce Borgia. Il alla un jour aussi, avec la permission du pape (c’est encore par Grossino que nous apprenons cet intéressant détail), visiter la chapelle Sixtine, « et le seigneur duc resta en haut à s’entretenir longtemps avec Miche l’Angelo et à regarder ces figures, n’en pouvant rassasier ses yeux…[1] » Qu’on aimerait bien à savoir sur quels sujets a roulé ce long entretien ! L’artiste bourru a-t-il demandé à l’illustre visiteur des nouvelles de Giulia, la coulevrine monstre ?…

Au bout de quinze jours, Alphonse d’Este prit peur tout à coup et s’enfuit de Home, protégé par les Colonna (19 juillet). Il prétendit que le Rovere en avait voulu à sa liberté, ce que Jules II

  1. Luzio, p. 540-541. La suite de la lettre de Grossino dit : « Le signor Federico (qui accompagnait son oncle Alphonse d’Esté dans cette excursion), voyant que Son Excellence restait si longtemps en haut, a mené les gentilshommes (du duc) voir les chambres du pape et celles que dépeint Rafaello da Urbino… » Il y a donc à distinguer entre les chambres habitées par le Rovere et les stances. De l’ensemble de la précieuse correspondance des Mantouans publiée par M. Luzio, il ressort que Jules II habitait le Belvédère, et à certaines occasions le château d’Ange.