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À Rome, la terreur fut indicible, et les cardinaux se rendirent en corps (14 avril) auprès du souverain pontife pour l’implorer à genoux d’accepter les conditions de la France. « Sa Sainteté a beaucoup fait pour l’exaltation de l’Eglise et la liberté de l’Italie et sa gloire en demeurera impérissable. Mais dans cette pieuse entreprise, la volonté de Dieu lui a été contraire et s’est manifestée par des signes impossibles à méconnaître. Persévérer plus longtemps contre la volonté d’en haut, ce serait amener la ruine totale de l’Eglise. Il appartenait au Seigneur seul de prendre soin de son épouse ; que Sa Sainteté, s’inspirant des préceptes de l’Evangile, voulût bien mettre fin à ses propres angoisses et à celles de toute sa cour qui ne désire et ne crie que la paix !… » Les membres du sacré collège, poursuit Guichardin, insistèrent aussi sur les graves dangers à l’intérieur, sur la turbulence croissante des barons et l’esprit de plus en plus mauvais des foules. Dès le milieu du mois de mars, en effet, le pape avait cru prudent d’aller habiter le château d’Ange. Le Rovere dut promettre d’entrer en négociations avec le roi très chrétien ; mais il prévint sur-le-champ les envoyés d’Espagne et de la République de Saint-Marc qu’il ne cherchait qu’à gagner du temps et qu’il restait inébranlablement attaché à la Ligue.

Peu de semaines après cette grande remontrance des cardinaux, Louis XII ne possédait plus un seul village dans la péninsule, et Jules II y prenait le titre de libérateur de l’Italie[1]… La vaste combinaison de l’Homme obstiné, qui avait si mal réussi dans l’automne de 1511, fit merveille au contraire au printemps de 1512. Vingt mille Suisses descendirent de nouveau de leurs montagnes, mais dans le Véronais cette fois, loin de l’argent tentateur des Français, et au milieu des Vénitiens empressés de les lancer contre l’ennemi (mai 1512). Pour ne pas être coupée de sa base d’opération au nord, l’armée de Gaston de Foix, commandée maintenant par La Palice, dut évacuer en toute hâte la Romagne et regagner la Lombardie ; bientôt (en juin), elle abandonnait même cette dernière province, pour courir éperdue, décimée, à la défense du sol français envahi dans la Navarre par les Espagnols, et en Normandie et en Guyenne par les Anglais. « Depuis que la France est France, — écrivait vers ce temps, de Blois, un agent impérial à Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, — jamais ceux-ci ne furent si étonnés ; ils doubtent merveilleusement de leur destruction et ont si grand’crainte que l’empereur ne les abandonne qu’ils en pissent en leurs brayes… » L’effondrement si soudain et si complet de la puissance française

  1. His omnibus magna felicitate gestis, Julius pontifex liberatæ a Gallis Italiæ nomen prætulit. (Ciaconius, Vitæ Ponlificum, III, 232.)