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solde, de l’état affreux des routes et de la rigueur de la saison pour repasser les Alpes par Bellinzona (27 décembre). Les Vénitiens de leur côté, au lieu de joindre en grande hâte les Suisses dès leur apparition en Lombardie, perdirent un temps précieux à disputer aux Impériaux quelques places insignifiantes dans le Véronais. — Henri VIII d’Angleterre répudiait, il est vrai, bien hautement, le conciliabule de Pise, et déclarait avoir en horreur tout ce qui de près ou de loin ressemblait à un schisme (c’était le même Henri VIII, qui depuis…) ; avant, toutefois, de dénoncer la paix, il voulait encore toucher un dernier terme de la pension annuelle que la France lui devait en vertu du traité d’Etaples. Enfin Ferdinand le Catholique n’entreprit rien aux Pyrénées, et son lieutenant à Naples, Cardona, ne se mit en marche que fort tard dans l’hiver (janvier 1512) pour aller assiéger Bentivoglio à Bologne, de concert avec les troupes du Saint-Siège. L’horizon s’assombrissait de plus en plus autour de Jules II, et les Romains, toujours frondeurs et grondeurs, prédisaient une revanche française immanquable au printemps.

Louis XII, en effet, avait gardé une attitude expectante pendant les premiers mois de la Sainte-Ligue, et en décembre 1511 avait mieux aimé se servir de l’or que du fer pour ramener les Suisses à leur frontière de Bellinzona ; mais il n’entendait pas pour cela se soumettre aux exigences hautaines d’une coalition qui se montrait si peu pressée d’agir. Il continua l’œuvre du concile ou du conciliabule ; il fit frapper une médaille avec la légende omineuse : Perdam Babylonis nomen ! et laissa fortement travailler l’opinion par ses écrivains à gages. Durant le carnaval de 1512, — au moment où l’armée française en Italie allait reprendre l’offensive contre « les papaux », — les Enfans sans souci égayèrent beaucoup le public parisien par la représentation d’une moralité qui avait pour titre l’Homme obstiné, et pour auteur Pierre Gringoire, le pamphlétaire ordinaire de Sa Majesté très chrétienne[1]. L’Homme obstiné, c’était Jules II introduit en personne sur la scène ; il était flanqué de Simonie et d’Hypocrisie, tandis que Punition tenait la foudre suspendue sur sa tête… Sur le théâtre de la guerre, le rôle de Punition échut à un acteur tout nouveau, un jeune homme de vingt-trois ans, qui se révéla du coup un héros, et, selon le mot magnifique de Guichardin, « fut grand capitaine avant d’avoir été soldat. » Gaston de Foix n’attendit pas même la belle saison pour débloquer Bologne (5 février 1512), tirer une vengeance terrible de Brescia révoltée (19 mars), et

  1. On a de lui plusieurs autres élucubrations contre Jules II ; l’une d’elles, de l’an 1510, est intitulée : la Chasse au cerf des cerfs, par allusion à la formule connue de Servus servorum Dei.