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ennemis de toutes les mollesses de la vie, tandis que Rome est l’esclave de fainéans, de poltrons, d’étrangers et de roturiers. » Déjà les deux conservateurs de Rome, Altieri et Stefaneschi, proposent le rétablissement de la République, l’armement du peuple et l’occupation du château Saint-Ange, quand soudain arrive du Vatican la nouvelle que l’agonie supposée du pape n’a été qu’une syncope, et que le rabbi (le médecin juif de Sa Sainteté) donne encore de l’espoir. Aussitôt la place se vide ; les nobles tribuns se dispersent dans toutes les directions : Pompeo Colonna cherche un refuge à Subiaco, Orsini et Pietro Margano s’enfuient jusqu’en France.

On eut soin de cacher au malade la folle journée du Capitole ; il finit néanmoins par en avoir connaissance, par apprendre aussi que beaucoup de cardinaux (Grossino en compte jusqu’à quinze) ont trempé dans le complot des barons. Ces barons romains, il les avait pourtant délivrés de la tyrannie sanguinaire des Borgia, et plus d’un de ces Colonna et de ces Orsini était allié aux Rovere par des liens de famille ! Et que dire de ces membres du sacré collège dont les uns prenaient ouvertement part au conciliabule de Pise et dont les autres ameutaient sourdement la ville contre le souverain pontife ? Il se voyait trahi et livré par ceux-là mêmes qui lui devaient le plus de gratitude et d’attachement. Son parent le plus proche, le duc d’Urbino, il a dû l’excommunier et le mettre en jugement pour un crime épouvantable ; se sentant près de la mort, il lui accorda l’absolution et l’admit à son chevet, sans cesser de se délier de lui jusqu’au bout. Des visages qui entouraient son lit de douleur, un seul ne lui fut point suspect : ce jeune Federico dont le nom a été déjà souvent prononcé, mais dont il reste encore à expliquer la présence au Belvédère.

Francesco Gonzaga, marquis de Mantoue et un des chefs de la Ligue de Cambrai, avait été fait prisonnier par les Vénitiens à la bataille de Legnano en août 1509. Sa femme, la célèbre Isabella d’Esté Gonzaga, après s’être adressée à tous les puissans de la terre, — à l’empereur, au roi de France, et jusqu’au Grand Turc, — finit par comprendre que seul Jules II avait assez de crédit auprès de la Signorie de Saint-Marc pour obtenir la libération du redouté capitaine. Il l’obtint en effet (juillet 1510) ; mais Isabelle avait dû auparavant consentir à ce que son fils Federico, alors âgé de dix ans, demeurât auprès du pape comme otage, garant de la conduite du marquis à l’avenir. N’allez pas vous récrier contre Je manque de générosité de la part du Rovere ! Le « chevaleresque » Maximilien et Louis XII Père du Peuple avaient fait à la pauvre mère exactement la même demande « inhumaine et impie », comme elle dit dans ses lettres désolées : ces hommes