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ressemblante ; elle rappelle la célèbre médaille de Caradosso ; elle rappelle aussi le profil du jeune cardinal Giuliano della Rovere dans la fresque de Melozzo ; il faut seulement tenir compte de la différence des années : trente ans d’activité et d’ambition dévorantes[1].

Mirandole capitula le 21 janvier 1511 ; et le Rovere fui si impatient d’en prendre possession qu’il n’attendit pas qu’on dégageât les portes barricadées de la ville et se laissa hisser dans une sorte de panier jusqu’à une brèche faite la veille dans le mur d’enceinte[2]. Tant que la place a résisté, il n’a parlé que d’en passer la garnison au fil de l’épée et de traiter la comtesse Francesca comme la dernière des créatures. Il ne fit rien de tout cela une fois vainqueur ; il reconduisit même la comtesse très galamment et en personne jusqu’à la frontière et écouta avec un sourire d’indulgence ses menaces d’une revanche prochaine. Il n’eut, au contraire, que des rebuffades pour le comte Castiglione (l’auteur du Cortegiano), qui vint le féliciter au nom de son maître le duc d’Urbino. La scène ne manquait pas certes de piquant : le fin et distingué comte Baldassare, — rappelez-vous seulement son merveilleux portrait au Louvre de la main de Raphaël, — le jouisseur le plus spirituel de cette époque de la Renaissance et son arbiter elegantiarum, haranguant un pape qui portait cuirasse et cuffiotto, et n’avait à la bouche que des bestemmie et des propos de corps de garde !… Jules II retourna triomphalement à Bologne, « et ce fut, — dit Paris de Grassis, — une grande joie pour le peuple de voir le pape, vénérable par son âge et sa longue barbe, monté sur un cheval fringant comme un jeune guerrier (guasi juvenis bellicosus). Il était en simple rochet, sans étole, sans qu’on portât devant lui le saint sacrement… » Pendant tout le reste de l’hiver, on le vit ainsi aller et venir d’une ville de la Romagne à l’autre, pour négocier et pour armer, pour traiter avec les divers ambassadeurs, ou pour mettre les places en état de défense. Il allait par la neige, par la pluie, par la boue, traîné et cahoté dans les affreux coches encore aujourd’hui en usage dans

  1. C’est le cher et regretté M. Geffroy, l’ancien directeur de l’École française à Rome, qui m’a indiqué le portrait si curieux de Corneto. M. le comte Bruschi a eu la bonté de me permettre de faire exécuter une photographie de ce cadre, qui porte la souscription Jul. II Pont. Max. Je n’ai pu obtenir l’accès dans l’Armeria du Vatican où, d’après la tradition, se trouve conservée l’armure de Jules II. — On sait que la fresque de Melozzo est maintenant (transportée sur de la toile) à la Pinacothèque du Vatican, 3e salle.
  2. Dans la Galleria geografica du Vatican (prolongement de la galerie de la Bibliothèque), où sont les cartes des provinces et les plans des villes appartenant au Saint-Siège, Jules II est représenté faisant (bien plus convenablement) son entrée à Mirandole sur la sedia gestatoria et avec un dais au-dessus de sa tête. Inutile d’observer que les peintures de cette galerie ne sont pas contemporaines, ni même du XVIe siècle.