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Vénitiens[1] !… » Mais le Rovere avait une armée fort respectable et un trésor bien rempli. Les Vénitiens, ensuite, n’étaient plus à ce moment les Vaincus effarés d’Agnadel : ils avaient repris courage, reformé leur armée et leur flotte, recouvré plusieurs places dans la Terre-ferme, battu les généraux de l’empereur Maximilien et fait prisonnier un des chefs de la ligue, François Gonzague, marquis de Mantoue. Enfin, et avant tout, Jules II avait eu la bonne fortune d’évincer Louis XII dans un marché avec les Suisses (4 mars) et de s’assurer leur concours pour cinq ans[2]. Or les vainqueurs de Granson et de Morat étaient réputés à cette époque les soldats les plus vaillans de la terre ; Machiavel les croyait capables de conquérir le monde. Le pape comptait beaucoup sur ces enfans de Tell. « Les Suisses sont des médecins excellens pour le mal français », aimait-il à répéter, faisant allusion à la terrible épidémie qui sévissait alors dans la péninsule (en France on l’appelait le mal italien). « On verra bien, disait-il encore, on verra si j’ai les reins aussi solides que le roi de France[3]… »

Le plan de campagne fut supérieurement combiné. Pendant que les Suisses prendraient les Français à revers dans le Milanais, une flotte vénitienne les attaquerait à Gênes sur leur flanc, et l’armée pontificale donnerait la main aux troupes du doge à travers le Ferrarais. Le 17 août 1510, Jules II quittait Rome pour se rendre sur le théâtre des opérations militaires : « Délaissant la chaire de saint Pierre, — comme s’exprime le chroniqueur français, — pour prendre le titre de Mars, Dieu des batailles, desployer aux champs les trois couronnes et dormir en eschauguette, et Dieu scet comment ses mitres, croix et crosses estoient belles à veoir voltiger parmy les champs… »

  1. Fragment de lettre inédite cité par M. Nitti, Macchiavelli nella vita e nelle dottrine, I, p. 399.
  2. En même temps Jules II stipulait, pour lui et ses successeurs, un corps de deux cents hommes qui auraient toujours la garde du palais apostolique et de la personne du pape : la guardia Svizzera qu’on voit encore aujourd’hui et dont l’uniforme consistait alors déjà dans l’ancien pourpoint et haut-de-chausse suisses avec la toque de velours noir. Les couleurs n’ont pas toujours été noir, rouge et jaune : dans la Messe de Bolsène, de Raphaël, le costume des gardes suisses a les nuances du vert et du gris (blanc ? ) à côté du rouge et du jaune (or). Los descriptions du célèbre possesso de Léon X en 1513 disent que la garde suisse portait un costume rayé de blanc et de rouge. Enfin, dans le rapport des orateurs vénitiens de 1523 (Albéri, III, 43), je lis : La guardia degli Svizzeri tutti vestili di una livrea bianca, verde e gialla. May (de Romain-Motier), Histoire militaire de la Suisse (Lausanne, 1788, vol. VIII, p. 525-528) manque de renseignemens à ce sujet, et se borne à dire : « L’uniforme est jaune, tailladé en incarnat et bleu. »
  3. J’atténue l’expression pour pouvoir la traduire : Vedero si avero si grossi li cogl… come li ha il re di Francia. (Lettre d’un témoin citée par M. Gozzadini, Atti e Memorie… di storia patria di Romagna, 1887, p. 186.)