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Les deux armées d’Italie et de Sambre-et-Meuse manifestent leur indignation contre les royalistes de l’intérieur. Celle du Rhin, quoique républicaine, n’a pas encore fait d’adresse ; elle reste contenue par la prudence de Moreau, en harmonie avec les chefs qui n : ont pas la même opinion, ou qui, politiquement parlant, n’en ont aucune. Les meneurs du Corps législatif sont heureusement divisés : les uns agissent par l’Angleterre, les autres par Blankenbourg ; Thibaudeau et Tronçon-Ducoudray font des rapports dirigés contre la majorité du Directoire, contre les armées d’Italie et de Sambre-et-Meuse et leurs généraux : une partie des meneurs voudrait encore attendre les futures élections pour se décider, les autres voudraient agir sur-le-champ ; les républicains se préparent de leur côté ; tout annonce un choc prochain.

Dans les cercles des prétendus honnêtes gens, on discute sans cérémonie chaque jour sur les moyens les plus simples d’assassiner un ou plusieurs des triumvirs. D’après le système de tout brouiller, qui est celui de Rovère et son talent particulier, il a, d’accord avec ses collègues et complices les inspecteurs de la salle, fait afficher une diatribe de la force armée de Paris contre les grenadiers de la garde du Corps législatif. C’était une heureuse idée pour commencer la guerre civile entre les militaires ; prévenue à temps, la police a fait arrêter l’afficheur.

Les royalistes s’organisent, ils éclatent en insolence ; les patriotes sont sages, mais résolus, avec la majorité du Directoire, à faire triompher la République, comme ils l’ont fait déjà, par tous les moyens de l’énergie.

Bonaparte, qui a eu fort peu besoin d’encouragemens pour l’intrigue, n’avait pas attendu le moment où nous sommes pour pratiquer ce principe, dont j’ai dû reconnaître le mérite chez Talleyrand, « qu’il faut faire marcher les femmes dans les circonstances importantes. » La femme qui avait servi si utilement son mari lorsqu’il ne l’était pas encore, après le 13 Vendémiaire, Joséphine, n’a pas cessé un moment depuis son mariage d’être utilisée par lui chaque fois qu’il l’a crue nécessaire à ses desseins. Elle a été toujours activement employée dans ses intrigues aux approches de la crise où nous nous trouvons amenés. C’est presque toujours par elle qu’il m’a fait écrire sur la question la plus grave, comme si la correspondance qu’une femme tenait en pareille circonstance n’était pas celle même de son mari. Pour se mettre davantage dans mon intimité et tenir plus sûrement ce que nous croirions devoir rester secret, Mme Bonaparte m’avait demandé de prendre un chiffre de correspondance : elle m’avait, avec sa manie familière, ajouté que ce chiffre convenu resterait à nous deux ;