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MÉMOIRES DE BARRAS
LE 18 FRUCTIDOR[1]

Un message d’intérêt particulier a été adopté par le Directoire, sur la proposition du ministère des finances. Carnot et Barthélémy refusent de le signer. Il paraît que c’est un parti pris, et que toutes les décisions du Directoire n’obtiendront plus désormais que la signature de trois membres. Nos deux collègues sont convenus de s’abstenir de voter : ils ne peuvent empêcher que trois soient la majorité, mais ils font un appel à l’extérieur.

Ces deux appelans s’imposent d’ailleurs une grande circonspection dans leurs discours et même leurs regards : ils ont pris le parti de la dissimulation pour soutenir leur gouvernement occulte. Les diatribes qu’ils suggèrent contre les trois directeurs sont d’ailleurs à l’ordre du jour au Corps législatif. Des agens circulent, répandant l’alarme contre les patriotes. On parle de transaction aux uns et de division aux autres. On ose dire à La Revellière qu’il sera proscrit par les Jacobins, à Rewbell qu’il éprouvera le même sort, à Barras qu’il se repentira du 9 Thermidor. Jamais les robespierristes ne lui pardonneront : on cherche à l’isoler de ses collègues ; on le leur présente comme un chef de parti dangereux ; on dit que le Triumvirat[2] travaille pour le duc d’Orléans ; on parle enfin, comme de chose toute naturelle, de l’assassinat des trois directeurs : les inspecteurs de la salle, des députés et même quelques généraux participent à de pareilles délibérations. On arme les jeunes gens, on les munit de signes de reconnaissance. Plusieurs émigrés quittent Paris, poltrons invétérés, accoutumés à fuir au moment de l’incendie qu’ils ont allumé.

  1. Ce fragment est extrait du tome III des Mémoires de Barras que M. George Duruy doit faire prochainement paraître à la librairie Hachette.
  2. Barras, Rewbell, La Revellière.