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les manifestations de parti se déchaînent autour de lui avec une telle fougue que ses protestations d’impartialité restent un peu vaines, et témoignent beaucoup plus de ses bonnes intentions personnelles que de leur efficacité réelle. Sans que M. Félix Faure en soit responsable, son voyage dans le sud-est a provoqué le plus éclatant étalage d’esprit de parti que nous ayons eu depuis bien longtemps. Peut-être, si ce voyage s’était produit dans une autre région de le France, les manifestations n’auraient-elles pas été les mêmes ? Peut-être auraient-elles eu lieu en sens contraire ? Mais il n’y a rien là, tout au contraire, qui soit de nature à nous rassurer. Il ne faut pas que les voyages du président de la République aient pour conséquence de mettre au grand jour les divisions qui peuvent exister dans le pays, et d’en pousser l’expression à son paroxysme. Mais alors, que faire ? Doit-on interdire au président de sortir de l’Elysée ? Doit-on lui défendre de se montrer en province ? Non, sans doute ; ce serait un autre excès ; il y a surtout ici une question de mesure. Mais à coup sûr le président de la République fera bien désormais de ne pas choisir, pour ses voyages, le moment où les passions politiques sont le plus excitées, le lendemain d’un conflit entre son ministère et l’une des deux Chambres, la veille d’une discussion redoutable entre ce même ministère et l’autre assemblée. Peut-être aussi fera-t-il prudemment de ne pas se laisser escorter par un président du conseil qui, de plus en plus dans l’avenir, représentera un parti, tantôt le parti radical et tantôt le parti modéré. Il est regrettable que le président soit surtout applaudi dans la personne de son ministre ; et nous n’avons pas besoin de dire que, s’il n’était pas applaudi du tout, cela ne vaudrait pas mieux.

Qu’on le veuille ou non, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, et le voyage de M. Félix Faure, à défaut d’autre avantage, aura celui de le rappeler à ceux qui l’oubliaient trop. A la politique de ménagemens réciproques a succédé, avec l’accession au pouvoir des radicaux socialistes, une politique de lutte sans merci. Tous les moyens paraissent bons aux amis du ministère pour le maintenir au pouvoir et pour l’y exploiter plus longtemps. On voyait autrefois, dans un voyage présidentiel, l’occasion de manifester les sympathies qui s’attachent naturellement à un digne représentant des institutions nationales. Aujourd’hui, le but est tout autre. Autour du président, on a crié surtout, non pas : « Vive la République ! » ou : « Vive Félix Faure ! » mais : « Vive Bourgeois ! vive le ministère ! » et même : « A bas le Sénat ! » Les cris qui s’adressaient à M. Bourgeois et à ses collègues étaient la glorification de leur politique, et, dans ce sens, ils étaient légitimes. Il ne peut venir à l’esprit de personne d’empêcher des citoyens d’acclamer le gouvernement qui leur convient. Nous aurions préféré toutefois que M. Bourgeois voyageât sans le président de la République, et qu’il n’eût pas l’air de se