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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 mars.


M. le Président de la République vient de faire de Paris à Menton un voyage qui n’a pas ressemblé à ceux qu’avaient faits jusqu’ici ses prédécesseurs. Il y a eu là un signe des temps, et non des moins significatifs. Ce n’est pas un reproche que nous adressons à M. Félix Faure. Il n’avait certainement pas prévu, lorsqu’il a quitté Paris, toutes les manifestations auxquelles son voyage servirait de prétexte. Les souvenirs du passé étaient de nature à le rassurer. Ils se rattachaient tous à la présidence de M. Carnot et à la sienne propre. Si on remonte plus haut dans notre histoire contemporaine, c’est-à-dire à la longue présidence de M. Grévy, les points de comparaison manquent absolument. M. Grévy n’aimait pas à se déplacer. On le lui reprochait quelquefois ; on accusait l’indolence de son caractère et l’immobilité dans laquelle il aimait à se confiner ; il ne sortait que très rarement de son palais de l’Elysée ; mais peut-être une grande part de finesse naturelle et de prévoyance politique se joignaient-elles chez lui à l’amour du repos et au médiocre penchant qu’il avait à se mêler aux foules, pour lui conseiller l’abstention à laquelle il était d’ailleurs si volontiers enclin. M. Grévy n’a fait qu’un seul grand voyage, qu’on a appelé le voyage des trois présidens, parce qu’il était accompagné du président du Sénat, qui était M. Léon Say, et du président de la Chambre, qui était M. Gambetta. Ce dernier était alors au faîte de sa popularité, c’est-à-dire à la veille d’en descendre. Ah ! les admirables ovations dont il a été l’objet dans ce voyage de Cherbourg du mois d’août 1880 ! L’enthousiasme, le délire populaires ont pu atteindre avant et depuis le même étiage, mais ne l’ont certainement jamais dépassé. Et on était en plein nord, dans une province habituellement calme, réfléchie, réservée, assez rétive aux entraînemens de tous les genres, et surtout à ceux qui se produisent autour d’un homme. Mais il y avait chez Gambetta quelque chose de capiteux. Sa nature expansive et généreuse, son éloquence puissante et sonore, le patriotisme dont il avait donné des preuves si éclatantes, parlaient aux imaginations et les exaltaient. Il faut bien avouer qu’au milieu des ovations que provoquait sa présence, M. Grévy passait relativement inaperçu. Ceux qui voyaient celui-ci de près remarquaient