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M. de Moineville n’insiste donc pas pour lui imposer la corvée réglementaire ; et il retourne à la paléontologie. Comme du reste il n’ignore pas que la chair a ses exigences, il admet que sa femme ait non pas une faiblesse, un égarement passager, mais un adultère régulier, installé, rangé. Mari complaisant, il poursuit les amans d’allusions piquantes, afin de mettre sa dignité à couvert. Je trouve que cette conduite est ignoble. Elle serait sans excuse, si nous ne savions que nous avons affaire à un maniaque. Quoi qu’il en soit, et tout mari de vaudeville qu’il paraisse, ce Moineville a une réelle individualité. Or on se passerait parfaitement de lui ; dans la pièce, tout comme dans son ménage, il n’est qu’un comparse. Il a l’air de tout mener, de tenir les fils de l’intrigue ; il s’en vante. En fait, il ne joue que le rôle traditionnel du raisonneur ; il est le sage de la pièce, abondant en aphorismes qui dans sa bouche sont assez mal en place. — D’un relief moins accusé, la silhouette de Renneval, le mari de la Figurante, est encore heureusement indiquée. Celui-ci est le pleutre, pareil sans doute à beaucoup des hommes que nous coudoyons chaque jour, et en qui les auteurs d’aujourd’hui se plaisent à incarner leurs contemporains. Égoïste et lâche, à demi conscient d’une veulerie morale où il voit peut-être quelque élégance, il imagine lui-même le compromis qui lui permettra de concilier les intérêts de son cœur avec ceux de sa position sociale, oublie sa maîtresse absente, retombe sous sa domination dès qu’il la revoit, non par amour mais par faiblesse, trahit tour à tour ou tout à la fois les deux femmes qui ont l’étrange fantaisie de l’aimer, et reste d’un bout à l’autre une image accomplie de la sécheresse du cœur et de l’inconsistance du caractère. — Mais apparemment dans la Figurante les deux personnages sur lesquels on devait concentrer la lumière, c’était celui de la figurante elle-même et celui de sa rivale, de Mme de Moineville et de Françoise. Ils sont l’un et l’autre parfaitement inexistans. Ce sont figures de convention où pas un trait individuel ne décèle la vie. Mme de Moineville est une femme quelconque qui a fait une maladresse et se voit prise à son piège. Pour ce qui est de Françoise, la petite pensionnaire effacée et disgracieuse, qui se trouve du jour au lendemain transformée en maîtresse femme, épouse désirable autant que politicienne émérite, nous ne pouvons un instant croire à sa réalité. Il est trop évident qu’elle est sortie ainsi tout armée du cerveau de l’auteur, qui l’a fabriquée à plaisir pour les [besoins de la cause.

A la manière dont la situation est posée et les personnages nous sont présentés, il est inévitable que toute notre attention se fixe sur la rivalité des deux femmes. Comment l’une va-t-elle tenter la conquête de son mari, et l’autre s’efforcer de défendre la position ? Voilà ce que nous sommes curieux d’apprendre. Mais M. de Curel commence