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Rien ici ne remplace le maniement des hommes et la pratique des affaires.

C’est dire que l’historien diplomate doit avoir été lui-même môle à la vie publique, initié au mystère des négociations internationales, introduit dans les arcanes des chancelleries. Tel est le cas de M. le duc de Broglie. Chez lui on peut dire que c’est l’homme d’État qui a engendré l’historien. Il est également différent de l’érudit chez qui le désir de savoir suffit à éveiller la vocation, et du philosophe qui cherche dans les faits une confirmation de ses idées. Homme d’État, il a voulu, sur la fin de sa carrière, évoquer devant lui l’image de quelques-uns de ceux qui l’avaient précédé, et voir comment ils s’étaient comportés en présence de difficultés qui peut-être n’étaient pas sans analogie avec celles auxquelles lui-même s’est heurté. Il lui a plu de constater comment cette éternelle recommenceuse qu’est l’histoire va sans cesse en se répétant. Ce sont ses souvenirs qui l’ont guidé dans ses recherches, et c’est la lumière du présent qui a éclairé pour lui le passé. Il y a plus. On ne s’improvise pas diplomate. Il est des nuances et des délicatesses qu’ignoreront toujours certains ambassadeurs inattendus que la faveur des loges maçonniques installe dans des fonctions auxquelles ils n’avaient guère songé à se préparer. Les conditions de naissance et d’éducation sont ici loin d’être indifférentes. Non seulement, du plus loin qu’il se souvienne, M. le duc de Broglie se souvient d’avoir entendu parler de politique, mais le milieu où il a vécu est celui où se conservaient les traditions de l’ancienne diplomatie. Il les a recueillies par voie d’héritage. Elles lui ont révélé tout un ordre de sentimens et l’ont renseigné sur un état d’esprit aujourd’hui disparu. Il a qualité plus qu’un autre pour nous présenter les hommes dont il nous parle, attendu qu’il est de leur monde, quand ce n’est pas même de leur famille.

De là vient le caractère propre aux livres de M. le duc de Broglie, et par-là s’explique qu’ils gardent au milieu d’autres travaux remarquables leur originalité. On ne saurait guère les comparer qu’à ceux de l’auteur de l’Histoire des princes de Condé. Partout ailleurs ce que nous admirons c’est l’effort grâce auquel un homme d’aujourd’hui arrive à sortir de lui-même, à s’échapper de son temps comme de sa personne pour entrer dans un ordre d’idées et dans un milieu d’affaires qui lui est étranger. C’est le. triomphe de l’esprit critique, mais un triomphe acquis parfois au prix de beaucoup de peines. M. le duc de Broglie est de plain-pied avec ses personnages et se meut naturellement dans leur atmosphère. Il est au ton de leurs discussions, il a la clé de leurs procédés ; il parle leur langue. C’est ce qui nous arrive quand nous avons à interpréter la conduite de personnes qui nous sont familières. Nous entrons d’abord dans leur façon de voir ; nous