sans se permettre d’apprécier ni leur portée politique, ni même leur caractère moral, et paraissant craindre d’émettre un jugement personnel que tout le monde pourtant serait heureux de connaître… Si l’histoire était mise définitivement à un tel régime, elle devrait renoncer, pour en laisser le monopole au roman, à toutes les qualités vraiment françaises de la pensée et du style : la vivacité du récit, la netteté du trait, l’art de démêler et de peindre les situations et les caractères. On lui interdirait de s’élever à cette hauteur de vues d’où elle peut apercevoir l’enchaînement général des faits et suivre le développement des desseins de la Providence. Elle n’aurait plus le droit de tirer des leçons du passé une instruction d’une moralité utile pour l’avenir. Privée par-là de la plus noble partie de sa tâche et de ses devoirs, elle serait véritablement découronnée. » On le voit, de toutes les parties dont se compose l’histoire seule digne de ce nom, M. le duc de Broglie n’en omet aucune. Au surplus, grâce à l’exemple de son œuvre, à l’impulsion qu’ont donnée un Taine, un Fustel de Coulanges, aux travaux de MM. Thureau-Dangin, Albert Sorel, Albert Vandal, on peut dire que la cause de l’histoire est aujourd’hui et pour un temps gagnée. On n’ose plus guère soutenir que tout l’effort de l’historien ne doive aller qu’à élucider une question de détail. Ou comprend que des recherches, si curieuses soient elles, ne servent qu’à réunir les matériaux qu’il reste ensuite à mettre en œuvre. Ceux qui se réduisent à colliger des textes, ce n’est pas qu’ils aient volontairement borné là leur idéal, c’est qu’ils ne peuvent faire mieux. Il n’y a pas d’œuvre historique sans composition d’ensemble. C’est ce qu’avaient compris les plus fameux historiens de la première moitié de ce siècle, et ce qu’ont montré à leur tour les écrivains que je viens de citer. Dans ce mouvement de renaissance des études historiques la part qui revient à M. le duc de Broglie, c’est d’avoir donné les modèles achevés de ce qu’on appelle l’histoire diplomatique. C’est un genre dont on peut d’après ses livres déterminer la nature, les conditions et les lois.
On a vu dans ces derniers temps les archives des capitales s’ouvrir et livrer leurs trésors à la curiosité des chercheurs. A Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Londres, à Turin comme à Paris, les publications de correspondances diplomatiques se sont multipliées. C’est une mine toute nouvelle et dont on comprend de reste l’importance. On suit le détail de négociations dont on ne connaissait jusqu’alors que le résultat. On assiste au travail lui-même, à ses échecs et à ses reprises. On surprend au vif, dans leur intimité et leur familiarité, des hommes politiques qu’on n’avait aperçus encore que dans l’attitude où ils avaient voulu se poser vis-à-vis des contemporains et de la postérité. On touche directement la réalité, sans passer par l’intermédiaire de narrateurs qui l’ont arrangée et déformée. Il est aisé de deviner le