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même. Rien n’est assurément plus contraire à la réalité. Que l’avocat général soit éloquent ou non, cela est secondaire, mais il ne doit jamais oublier qu’il n’est point dans le monde de parole plus libre que la sienne, qu’il doit avant tout s’exprimer en homme sincère et courageux.

Cependant, dans une discussion qui eut lieu au Conseil d’Etat en 1804 sur la nature des fonctions des procureurs généraux, l’Empereur ne voulut point d’abord admettre qu’un simple membre du Parquet, nommé par le Grand Juge, pût conclure autrement que selon les vœux de ce Grand Juge. Vainement Regnault de Saint-Jean-d’Angély expliqua-t-il que le procureur général « doit être le défenseur de la justice et non de l’opinion du ministre. » Napoléon, très renseigné, comme on le sait, sur les traditions monarchiques et désireux d’en renouer le fil, répliqua que « dans les lits de justice où le roi était présent, le procureur général devait conclure conformément aux ordres du roi. » La raison n’était pas bonne, et il se trouvait là, pour rectifier le maître, un certain prince architrésorier de l’empire qui était plus ferré que quiconque sur les lits de justice et les us et coutumes des anciens Parlemens. Ce fut Lebrun, cet ancien secrétaire du chancelier Maupeou, devenu duc de Plaisance, qui renseigna l’Empereur : « Les procureurs généraux, dit-il, concluaient conformément aux ordres du roi lorsqu’il s’agissait de l’enregistrement d’une loi ; dans toutes les affaires particulières, ils concluaient conformément à leur opinion personnelle. » Lebrun avait raison, et depuis son oracle nul n’a songé à contester à un avocat général le droit de conclure à sa guise et, si la preuve du crime n’est pas faite, de solliciter un acquittement.

Mais, quelle que soit la thèse qu’il soutient, la tâche importante, la réelle fonction du ministère public à la Cour d’assises ne se borne pas, à notre avis, au réquisitoire. Suivant les règles même tracées par le législateur, l’avocat général ne doit pas faire consister toute son intervention au débat dans ce discours apprêté qui fait partie du duel oratoire. Il doit, dès le début de l’audience, jouer le rôle actif de demandeur.

Or, nous avons convié le lecteur à suivre près de nous une cause célèbre ; pendant une journée, et deux journées peut-être, il a vu à l’audience tous les rôles et tous les personnages accaparés par le président ; c’est à peine s’il a pu distinguer à côté de la Cour un magistrat muet et immobile : c’était l’avocat général.

Souvent à Londres on voit l’accusation représentée par deux membres du barreau. Le plus important des deux, qui est souvent un Queen’s counsel, c’est-à-dire un avocat parvenu aux