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mieux pourvu d’autorité morale dans l’accomplissement de sa tâche.

Mais quelle est cette tâche ? Qu’est-ce que le ministère public dont il est le représentant ?

On le sait, c’est un corps de magistrats amovibles destinés à assurer l’exécution des lois. Si la loi est violée, si un crime vient à se commettre, au moment où il s’agit d’en déférer l’auteur aux tribunaux, deux systèmes sont en présence :

Dans l’un, le citoyen lésé agit lui-même, prend en main sa propre cause, et conduit l’agresseur devant les juges. C’est le système accusatoire ; celui de Rome et des Anglais.

Dans l’autre, le citoyen s’en remet du soin de la poursuite au ministère public. C’est le système admis en France où. suivant le mot de Montesquieu, « la partie publique veille pour les citoyens, elle agit et ils sont tranquilles. »

Bien que les Anglais aient un tempérament de forte initiative individuelle, qui s’accorde avec le système accusatoire, ils sentent depuis quelques années le besoin de créer un ministère public. Bien que les Français aient au contraire le goût de se mettre en tutelle et d’être « tranquilles » pendant que « la partie publique veille », ils sentiront tôt ou tard que l’excellente institution du ministère public a pris dans ce pays un développement exagéré. De sorte qu’à vrai dire les Anglais n’ont pas assez de ministère public, tandis que nous en avons un peu trop.

En Angleterre, le mouvement qui se dessine on faveur de l’institution du ministère public a conduit à la création assez récente d’un fonctionnaire qui, sous le nom de director of public prosecutions, est chargé d’exercer des poursuites dans un certain nombre de cas. Cet agent intervient dans les affaires criminelles importantes ou difficiles, ou lorsque des circonstances spéciales empêchent un citoyen d’assumer le rôle d’accusateur. Le nombre de ces interventions est jusqu’ici extrêmement restreint. Quand ce public prosecutor aura étendu son action à la plupart des crimes et délits, le ministère public sera fondé en Angleterre et nos voisins feront bien de ne pas songer à donner un plus large développement à cette institution.

J’imagine d’ailleurs que le public prosecutor, s’il a des rêves ambitieux, ne se voit pas encore régentant l’instruction, distribuant les dossiers aux juges de Bow-Street ou des autres tribunaux de police, siégeant à Old Bailey à côté du grand juge, le nommant par surcroît pour chaque session, et couvrant le pays d’une armée de substituts qui, après avoir exercé les poursuites, deviendraient avocats dans toutes les affaires et