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M. de Broglie, à la Chambre des pairs, déclara que « les fonctions d’assesseur passaient pour une sinécure accidentelle… » Cependant quelques députés ne manquèrent pas de prétendre que « le nombre des magistrats rehausse la dignité de l’audience, » et un de ces derniers, M. Isambert, déclara « qu’il avait vu le juge unique à Old Bailey à Londres, et que ce manque de solennité l’avait beaucoup blessé ! » On ajouta que « pour résister à l’influence du ministère public » quatre magistrats valaient bien mieux que deux. Mais le nombre en cela ne fait rien à l’affaire, chacun le comprit bien, et les quatre assesseurs furent réduits à deux.

Nous verrions sans regret qu’on fît un pas de plus, et que sans nul souci des symétries décoratives, on laissât notre juge seul sur son estrade, dans son entier pouvoir, dans sa visible et entière responsabilité.

Ce juge libre, éclairé et puissant, aura à maintenir dans de sages limites le duel oratoire auquel nous allons maintenant assister.


VII

Tout semble avoir été dit quand ce duel oratoire commence. Après le long interrogatoire du président, les témoins à charge et à décharge, les experts ont été entendus, questionnés par l’accusation et la défense. Durant de longues heures il semble que chacun ait produit tous ses argumens… et cependant à ce moment un frisson d’attention parcourt l’auditoire : c’est maintenant que la bataille va s’engager !

Et nos anciens procéduriers, pleins de l’ivresse du duel commençant, s’écrient en voyant le ministère public se lever pour prendre la parole : « En voicy un maintenant qui joue des mains en bataille rangée ! »

C’est donc toujours la preuve antique, le duel judiciaire. Il s’agit d’art, de guerre et de triomphe. Qui sera le plus fort ou le plus éloquent ? Hier ces guerriers portaient la hallebarde, aujourd’hui ils ont pour arme la parole, mais ces deux systèmes diffèrent bien peu si on regarde la distance qui les sépare d’une recherche logique et rationnelle de la vérité.

Et qui sait, dans l’avenir lointain des âges, si l’histoire ne confondra pas dans les descriptions d’une époque primitive et quasi barbare les deux périodes du combat de justice : le combat par le verbe et le combat par l’épée.