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de ses relations de dépendance ou de voisinage avec le ministère public, on n’a cure. On s’attaque à l’effet, au résultat sans songer le moins du monde à rechercher ses causes. Sus au résumé ! Sa déroute fera régner l’impartialité à la Cour d’assises ! Enfin le résumé est aboli en 1881. Dès le lendemain, l’interrogatoire sort de l’ombre, abandonne les proportions discrètes qu’il avait gardées jusque-là, et, tandis qu’avant 1881 le résumé se plaçait à la fin de l’audience, il change simplement de nom et de place, et s’installe an début de la procédure. La source qu’on empêche de jaillir à une place se crée vite une issue à quelques mètres de là. On possède à présent un résumé avant la lettre.

Ainsi, la mesure prise pour réprimer sous une de ses formes la tendance accusatoire du président n’a eu aucun bon résultat. L’origine et la nomination de ce magistrat, les habitudes et les traditions du milieu où il s’est développé, ses relations constantes et familières avec le ministère public, tout aboutit nécessairement à le rendre favorable à l’accusation. Et si demain, après quelque incident, on arrivait à supprimer expressément, après le résumé, l’interrogatoire même, le président parviendrait malgré tout à exprimer le réquisitoire qui est dans sa pensée à son insu, et peut-être malgré sa volonté. Si l’on veut remédier à cet état de choses, qu’on ne recoure plus aux lois de circonstance, aux mesures superficielles qui déplacent le mal sans arrêter son cours. C’est sur le juge qu’il faut agir, pour l’élever, pour l’affranchir, pour le fixer dans son rôle d’arbitre. Que l’on creuse un fossé profond entre le président et l’accusateur, qui depuis longtemps semble gêner son indépendance.

Nous nous efforcerons d’indiquer dans nos conclusions les mesures qui nous semblent nécessaires à cet effet ; mais disons ici que, quand le juge sera bien fixé dans son rôle véritable, nous serons d’avis de lui laisser, dans le cercle de sa fonction, la puissance la plus étendue. Qu’il conserve intact ce « pouvoir discrétionnaire » qui lui permet à certains momens de s’affranchir des règles ordinaires dans l’intérêt du droit et de la vérité, et qu’il ne reste pas comme le juge anglais figé dans le silence. Spectateur de la lutte qui se déroule au-dessous de lui, qu’il ait le droit d’intervenir avec sagesse, de demander des éclaircissemens à l’accusé lui-même, mais au cours du débat, par des questions discrètes, et non parmi les artifices d’un interrogatoire savamment calculé.

D’ailleurs, le juge dont nous parlons, n’étant plus accusateur, ne saurait produire rien de semblable à l’interrogatoire actuel. Pénétré de cette vérité : qu’il est aussi utile à la société de disculper l’innocent que de punir le coupable, il tiendrait strictement la