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M. le président ne fait allusion qu’aux dépositions défavorables à l’accusé ! » Rien n’y fait désormais, l’interrogatoire conserve son allure. Lorsque l’accusé « peut s’asseoir », il paraît confondu ; son « système » est réduit en poussière, l’accusation est établie, la défense est réfutée, le verdict pourrait être rendu. Telle est au moins l’opinion du président lui-même qui, de la meilleure foi du monde, est convaincu d’avoir fait son devoir s’il a formé l’opinion du jury avant l’apparition du premier témoin.

Est-ce vraiment là son devoir, et s’il manquait à interroger l’accusé de cette manière « le povre juge aurait-il son veniat ? ». Cela était vrai sans doute au temps d’Ayrault, et après lui encore, sous le régime de l’Ordonnance de 1670. On sait qu’alors, jusqu’à la Révolution, tout reposait sur l’interrogatoire (quelque peu aggravé, nous en convenons, par la torture). Le but était d’arracher par tous les moyens l’aveu de son crime à l’accusé. La loi actuelle, du moins en ce qui touche à la procédure orale et publique, repose heureusement sur des principes tout différens. Qu’on parcoure les travaux préparatoires, les discussions et les rapports qui ont précédé le Code de 1808, aussi bien que ce Code lui-même ; on n’y trouvera rien qui permette de croire que dans la pensée de l’Empereur ou de ceux qui ont fait la loi avec lui, le président d’assises ait reçu la mission de se constituer au seuil de l’audience, par un interrogatoire prolongé, le précurseur et l’auxiliaire du ministère public.

Cependant, comme les vieilles habitudes inquisitoriales devaient survivre bien longtemps à l’abrogation de l’Ordonnance de Colbert, très vite, dès 1820, un certain interrogatoire du président d’assises s’installa à côté de la loi dans la pratique judiciaire. À cette époque des arrêts commencèrent à dire que le pouvoir discrétionnaire du président lui confère le droit d’interroger l’accusé au moment qui lui plaît et « dans la forme qu’il juge nécessaire à la manifestation de la vérité. »

Dès lors, si l’interrogatoire n’atteint pas encore les proportions qu’il a prises aujourd’hui, c’est que le président, jusqu’en 1881, possède, avec le résumé, l’occasion d’un suprême et dramatique réquisitoire. Le résumé, morceau oratoire prononcé après la clôture des débats, met en œuvre toute la verve et tout le talent du président. La tendance nettement accusatoire est si visible dans ce résumé, qu’il fait naître des critiques de plus en plus acerbes et, semble-t-il, fort justifiées. La « suppression du résumé » devient bientôt un des articles du programme libéral.

Avec un singulier manque de clairvoyance on semble croire qu’il suffira de supprimer le résumé pour rendre le président à son véritable rôle. De ce magistrat lui-même, de son recrutement,